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Est-il possible d’écrire l’histoire de la philosophie d’une façon tout à fait impartiale ? L’auteur le croit surtout en ce qui concerne la philosophie antique, alors même que l’historien se serait fait une opinion philosophique ; à condition toutefois qu’il ne s’inspire pas de cette opinion dans l’exposition des systèmes. Une histoire objective étudierait d’abord le climat et la nature du pays, les opinions morales et religieuses du peuple, l’état de la science en général, les faits connus et les méthodes employées dans chaque science. Pour la vie du philosophe, elle y joindrait les influences politiques, sociales et littéraires.

Cette introduction serait suivie de l’exposition de la doctrine ; il y aurait lieu de reproduire le contenu de chacun des écrits où elle est exposée, autant que possible dans l’ordre même que leur a donné l’auteur et en traduisant littéralement les pensées les plus caractéristiques et les plus importantes. Une telle exposition serait préparée par une critique qui ne s’occuperait pas de déterminer quelles propositions il faut approuver ou blâmer, mais d’établir, avec l’aide de la philologie et de l’histoire, ce que chaque philosophe à réellement enseigné. Une indication aussi complète que possible des sources qui complètent ou restituent en partie le texte et des œuvres modernes auxquelles on renvoie dans le cours de l’opposition pourrait précéder la vie du philosophe.

Une telle méthode aurait l’avantage de forcer jusqu’à un certain point l’historien à l’impartialité et de fournir au lecteur les moyens de se prémunir contre une critique trop partiale. Mais elle aurait encore d’autres avantages ; elle empêcherait l’historien de commettre un certain nombre de fautes. Il n’essayerait pas de former, en combinant deux idées qui appartiennent à un philosophe, une nouvelle idée qu’il lui attribuerait sans que rien l’autorise à affirmer qu’il l’a eue réellement. Il ne ferait pas non plus appel à la méthode analytique pour résoudre les concepts en leurs éléments qui souvent n’ont pas été déterminés par les anciens philosophes. Il se garderait de généraliser d’après quelques cas, comme Zeller qui juge d’après un seul exemple de la pénétration logique et de l’esprit scientifique d’Épicure. Il éviterait les images, les comparaisons et les parallèles qui donnent à l’exposition une apparence d’esprit ou de profondeur, plutôt qu’ils n’aident le lecteur à comprendre le système. De plus, au lieu de dire avec certains historiens qui semblent exposer les faits comme une conclusion nécessaire de principes connus par eux à priori : ceci devait arriver, ceci ne devait pas arriver, ceci devait nécessairement produire cela, il dirait : tel fait nous est confirmé par des témoins dignes de foi et il nous semble qu’il a eu telle ou telle cause. Enfin il éviterait les constructions historiques dans lesquelles Hegel, qui croyait par son système avoir donné une solution définitive à l’humanité, s’efforçait de montrer l’accord de l’histoire et de la logique ; il ne chercherait pas comme Lewes à ramener par son exposition les esprits de la métaphysique à la philosophie positive ; il s’abstiendrait d’attribuer à l’humanité un but déterminé que les hommes