Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/712

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
708
revue philosophique

de faire quelques remarques sur la méthode qui seule peut selon lui permettre de l’examiner et de l’apprécier impartialement.

Il examine d’abord (p. 1 à 16) les conceptions subjectives de l’histoire de la philosophie. En Allemagne, dit-il, et nous pourrions ajouter en France, presque toujours on s’est placé, pour exposer et apprécier la philosophie des anciens, à un point de vue métaphysique. Aussi les écoles métaphysiques ont-elles été jugées généralement avec une grande faveur, tandis qu’Épicure, se tenant à un point de vue plus empirique, a été traité dédaigneusement ou immédiatement condamné. À quelques exceptions près, les critiques ne se sont pas donné la peine de cacher leur antipathie pour Épicure, ils ont au contraire exprimé avec violence un dédain qui ne semble être que simulé, car si Épicure était aussi superficiel, aussi borné et aussi peu intéressant qu’on le dit, il devrait suffire à ses adversaires d’exposer textuellement sa doctrine sans appeler d’abord l’attention de leurs lecteurs sur le peu de valeur des théories qui vont leur être présentées. Ce n’est pas cependant ce qu’ont fait les trois grands historiens de la philosophie, Hegel, Ritter et Zeller.

Hegel (Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, II, 437) trouve que ses théories sur la physique sont en elles-mêmes misérables et complètement insignifiantes, vides de pensée (Gedankenlosigkeist) et ne constituant qu’un vain bavardage. Il y a cependant, selon lui, un côté intéressant dans cette philosophie, c’est la méthode qui est aujourd’hui encore celle des sciences de la nature : Épicure, dit-il, peut être considéré comme le fondateur de la physique et de la psychologie empiriques (441). Il va sans dire que Hegel condamne une pareille méthode. Il termine en disant qu’il ne veut pas s’arrêter plus longtemps à des mots vides et à des conceptions insipides ; qu’il ne saurait accorder aucune attention aux pensées philosophiques d’Épicure, ou plutôt qu’il n’y a chez lui aucune pensée.

L’hostilité de Ritter contre Épicure le conduit souvent à exposer sa philosophie d’une façon inexacte et à la juger sans impartialité. Ainsi (III, 457), il dit qu’Épicure paraît n’avoir presque rien enseigné (sovie alsnichts) sur l’origine terrestre des êtres vivants, alors que Lucrèce revient à plusieurs reprises (II, 865, 1153. V, 738, etc.) sur cette question. Plus loin, il dit qu’Épicure a nié les dieux, lorsqu’il reconnaît lui-même qu’Épicure a pris beaucoup de peine pour prouver leur existence ; il cherche à représenter Épicure comme superstitieux, alors qu’aucune école n’a été plus ennemie de la superstition que l’école d’Épicure. Enfin il conclut que l’épicurisme n’a fait aucun progrès, ce qui n’est pas étonnant, dit-il, puisque, disposé à passer partout à côté des plus grandes difficultés, il ne pouvait être étudié avec attention et accepté que par des esprits superficiels.

Zeller croit bon et nécessaire d’arriver à la philosophie antique avec un système philosophique propre. Le système qu’il a adopté est assez éloigné de l’épicurisme et l’a amené à reproduire bon nombre des