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ANALYSES.giraud-teulon. Les origines du mariage, etc.

débarrasse d’une façon bien sommaire et un peu légère de cette dernière hypothèse et des objections qu’on en pourrait tirer contre toute son argumentation. Ce n’est pas seulement « en Angleterre » que cette question « a eu le privilège de provoquer des discussions passionnées », et (comme j’avais pris soin de l’en avertir) ce ne sont pas seulement « ceux qui se sont constitués les défenseurs des opinions conformes à l’Écriture sainte » qui la résolvent autrement que nous. Opposer à l’opinion de l’archevêque Whately celle de deux missionnaires anglais « non suspects d’hétérodoxie », ce n’est pas répondre comme il convient aux arguments d’un penseur comme M. Renouvier, arguments singulièrement serrés, dégagés s’il en fut de tout parti pris théologique. MM. Fison et Howilt sont de savants hommes, dont l’important ouvrage (Kamilaroi and Kurnai, Melbourne and Sydney, 1880) en faisant connaître l’organisation des tribus australiennes, a apporté des données nouvelles et jeté une lumière précieuse sur les questions de sociologie ; il est intéressant, par suite, de savoir qu’en dépit de leur foi religieuse, ils n’hésitent pas à tenir pour certain « que le genre humain a lentement et inégalement émergé d’un même état de sauvagerie », ce qui est, je le répète, notre propre conviction. Mais les pages qu’on nous donne de ces écrivains, dans lesquelles ils s’efforcent de mettre d’accord la Bible et la théorie de l’évolution, ne sont vraiment pas d’une grande portée philosophique. Nous eussions préféré voir M. Giraud-Teulon justifier lui-même, plus fortement (plus amplement, s’il le fallait), sa méthode, que nous croyons bonne. Il n’y convertira pas ceux qui la repoussent à priori, au nom d’un credo : ce n’est donc pas à ceux-là qu’il importait de s’adresser. Son livre aurait, en revanche, pour les philosophes na intérêt autrement vif, s’il s’était soucié de rendre sa thèse scientifiquement inattaquable, au lieu de chercher à y rallier ceux qu’elle choque pour des raisons extra-scientifiques.

Mais ces critiques, en somme, ne portent que sur la préface. Dans tout le corps de l’ouvrage, partout où il s’agit non plus de discuter sa méthode mais de l’appliquer, l’auteur se meut avec beaucoup d’aisance et de vigueur à travers les détails et les difficultés d’un sujet infini, que personne peut-être, à l’heure qu’il est, ne connaît aussi bien que lui dans son ensemble. Il coordonne et interprète, à la fois avec une décision croissante et une circonspection constante, des faits d’un extrême intérêt, dont le nombre va toujours grossissant, il utilise avec une rare largeur d’esprit les vues théoriques et les explications partielles de ses devanciers. Son maître principal est toujours le docteur Bachofen, de Bâle, à qui cette fois l’ouvrage est dédié ; la grande découverte de ce savant, le « Mutterrecht », reste la pierre angulaire de toute cette ingénieuse reconstruction, de cette histoire de la famille avant la famille et avant l’histoire. MM. Fison et Hovwitt ont fourni le plus grand nombre des faits nouveaux ; leur témoignage est venu confirmer, rectifier ou nuancer diversement la plupart des généralisations