Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
615
CH. RICHET. — la suggestion mentale


III

Les expériences dont je vais exposer ici, avec le plus de clarté possible, les résultats, sont aussi des faits invraisemblables ; mais leur invraisemblance est toute relative ; en ce sens qu’aucune d’entre elles ne contredit les faits connus, acquis à la science.

Il s’agit de la suggestion mentale, et voici comment on peut la définir.

La suggestion mentale est l’influence que la pensée d’un individu exerce dans un sens déterminé, sans phénomène extérieur appréciable à nos sens, sur la pensée d’un individu voisin[1].

À peine est-il besoin de dire que ce que j’appelle suggestion mentale n’a rien de commun avec les expériences de M. Cumberland, de M. Capper, avec le Willing game, et autres jeux analogues. Il ne faut pas qu’il y ait le moindre contact entre celui qui devine et celui qui suggère : car les plus faibles contacts, comme j’ai eu l’occasion de le montrer[2], peuvent devenir des indices. Or, du moment qu’il y à des signes extérieurs révélateurs, on n’a plus affaire à la suggestion mentale ; c’est une perspicacité plus ou moins grande (et qui souvent conduit à des résultats étonnants), de la part de celui qui reçoit l’impression. C’est de la finesse, de la pénétration ; ce n’est plus la suggestion mentale.

À la vérité, les faits dont il s’agit ne sont pas nouveaux absolument, au moins pour quelques-uns d’entre eux. La démonstration que j’essaye de donner est nouvelle ; mais le fait lui-même est annoncé depuis longtemps[3]. Toutefois je ne sache pas qu’il ait pris rang dans la science.

  1. Exemple : je prends six photographies représentant des dessins différents ; j’en regarde une, la photographie C par exemple, fixement, attentivement : sans faire aucun geste, aucun regard qui puisse indiquer qu’il s’agit de celle-là plutôt que d’une des cinq autres. Si l’individu voisin, sans voir la photographie que j’ai devant les yeux, me dit : c’est la photographie C que vous regardez ; et si l’expérience est répétée plusieurs fois de suite avec le même succès, il s’agit de suggestion mentale.

    Bien entendu, il faut s’abstenir soigneusement de tout geste extérieur, de toute indication, si faible qu’elle puisse être. (J’ai montré ailleurs comment se devait poser le problème. Note on mental suggestion. Brain, Fasc. XXV, 1884, p. 83).

  2. Bull. de la Soc. de biol., avril 1884.
  3. Peut-être faut il faire remonter les premiers récits de suggestion mentale à la fameuse possession de Loudun. Gaston d’Orléans, ayant visité les Ursulines, agitées de terribles accès démoniaques, constata, dit la légende, qu’elles obéissaient à des ordres donnés mentalement.