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du fidéisme ; l’idéal que tant de philosophes se sont proposé, que les plus illustres d’entre eux se proposent encore, doit être poursuivi sans relâche. Mais cette certitude si entière, si absolue, qui ne laisse place à aucun doute, le philosophe la rencontre-t-il partout ? la rencontre-t-il souvent ? N’y a-t-il pas bien des questions où, après de longues recherches, en présence de difficultés toujours renaissantes, en face des divergences qui séparent irrémédiablement les meilleurs esprits, et les plus éclairés, et les plus sincères, il est forcé de s’avouer que la vérité ne s’impose pas avec la rigueur et la nécessité d’une démonstration géométrique ? Il peut croire pourtant, et sa croyance est légitime. Nous ne savons guère de doctrine plus dangereuse, et qui fasse au scepticisme plus beau jeu, que celle qui, entre la certitude absolue et nécessaire, et l’ignorance ou le doute, ne voit de place pour aucun intermédiaire. Mais si on revendique le droit de croire rationnellement, n’a-t-on pas par là même le devoir d’examiner la nature de la croyance, de s’enquérir des motifs sur lesquels elle se fonde, de chercher comment elle se produit ? Si, comme il semble bien qu’il faut en convenir, la croyance tient, dans les systèmes de philosophie, autant de place que la certitude, pourquoi réserver toute son attention à la certitude et réléguer la croyance au second plan, comme chose secondaire ? Le temps n’est plus où les systèmes de métaphysique se présentaient comme des vérités rigoureusement déduites d’un principe évident, et prétendaient s’imposer de toutes pièces à l’esprit, comme ces démonstrations géométriques dont ils empruntaient quelquefois la forme et dont ils enviaient la rigueur incontestée. Spinoza, Leibnitz, Hegel, pouvaient bien croire qu’ils démontraient a priori leur doctrine : qui oserait, aujourd’hui, afficher de telles prétentions ? Il y a encore bien des systèmes, et les explications de l’univers, en dépit des prédictions positivistes, qui proclamaient la métaphysique morte pour toujours, n’ont jamais été plus nombreuses que de notre temps. Mais elles déclarent que leurs principes sont des inductions : plus exactement, elles s’offrent comme des hypothèses capables de rendre compte de tous les faits, et dignes par conséquent, si cette prétention est fondée, de passer à l’état de vérité, suivant la méthode fort légitimement appliquée dans les sciences de la nature. La fierté dogmatique a singulièrement baissé le ton ; la métaphysique est devenue modeste. Mais dire que les théories sont des hypothèses, c’est dire qu’elles font, en dernière analyse, appel à la croyance, et par la force des choses, la théorie de la croyance ne devient-elle pas une des parties principales de la théorie de la connaissance, si les systèmes se proposent comme des: croyances, au lieu de s’imposer comme des certitudes ?