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prochements entre ses opinions et celles d’Anaximandre. Mais on ne peut en conclure qu’il ait subi directement l’influence du Milésien.

Si l’opinion que j’ai émise plus haut sur la nature du double enseignement de Pythagore est exacte, il n’est pas douteux que les opinions physiques apprises aux élèves du dehors n’aient été en majeure partie empruntées par le Samien soit aux barbares, soit aux Hellènes[1]. Parmi ces derniers, nul plus qu’Anaximandre ne lui offrait une mine précieuse.

Mais d’un autre côté, si Parménide n’a nullement été ni le disciple ni le continuateur de Xénophane, il en connaissait certainement les poésies, et celles-ci ont pu être un autre canal par où lui seront arrivées au moins certaines expressions du Milésien. Nous devons donc tenir compte de cette possibilité, au point de vue particulier à l’étude que nous poursuivons..

Ainsi, lorsque Stobée (I, 24, 1) nous donne, sous la rubrique « Parménide », πιλήματα πυρὸς τὰ ἄστρα (les astres sont « feutrés » de feu), s’il ajoute que les astres sont nourris par les exhalaisons de la terre, l’influence de la tradition ionienne exercée par l’intermédiaire de Xénophane est facilement reconnaissable ; mais je ne puis apercevoir d’autres traces de cet intermédiaire.

Au contraire, si Parménide place la terre au centre du monde et s’il explique son immobilité par le fait de cette situation centrale et l’absence d’un motif qui la ferait tomber d’un côté plutôt que d’un autre[2], nous retrouvons la pure doctrine d’Anaximandre, et il est certain cette fois qu’elle ne vient point du poète de Colophon.

On pourra dire que ces points de doctrine ont pu être facilement réinventés en Italie ; mais l’idée que le soleil et la lune se sont détachés (ἀποκριθῆναι[3]) de la voie lactée, celle que le soleil et la voie lactée sont des soupiraux de feu (ἀναπνοὴν[4], Anaximandre ἐκπνοὴν[5]), nous reportent également à la genèse et à la cosmologie du Milésien. Enfin l’hypothèse des « couronnes » de Parménide me semble aussi directement empruntée aux conceptions d’Anaximandre.

Voici tout le passage de Stobée (I, 22, 1) relatif à cette hypothèse, qui en général a été assez mal comprise :

« Parménide dit qu’il y a des couronnes qui s’enveloppent les unes

  1. Cela concorderait avec le jugement d’Héraclite sur Pythagore (Diogène Laërce, VIII, 6).
  2. Placita, III, 15. Démocrite lui est adjoint comme partageant la même opinion ; d’après Aristote, il y a là une erreur.
  3. Stobée, I, 25, 1.
  4. Stobée, I, 22, 1.
  5. Hippolyti Philosophumena (Doxog. græci, p. 559, 560).