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car il n’aurait pu donner de motif pour cette hétérogénéité, dont il n’avait d’ailleurs nullement besoin.

Mais une remarque capitale est à faire : il est clair que le corps subtil, l’ἀραιόν de Parménide, correspond à l’ἄπειρον de Phytagore, et son dense, πυκνόν, au πέρας. Or, d’après la tradition, c’est le πέρας qui est au premier rang dans les oppositions pythagoriennes ; pour Parménide, c’est au contraire l’ἀραιόν.

La raison de ce renversement est facile à voir ; il y avait nécessité pour l’Eléate à introduire dans sa cosmologie la lumière et les ténèbres, et il ne pouvait attribuer la lumière qu’à l’ἀραιόν, en même temps qu’il devait la mettre au premier rang. Ces conclusions d’ailleurs ne sont nullement personnelles à Parménide, et c’est dans l’antinomie qu’elles soulevaient qu’il faut chercher la principale raison pour laquelle l’école pythagorienne ne conserva les principes du πέρας et de l’ἄπειρον qu’avec une signification abstraite. Du temps même de Parménide, une logique analogue entraînait Hippasos à former secte en reconnaissant dans le feu l’élément primordial ; plus tard, Philolaos sera conduit de même à assigner au feu la place d’honneur au centre du monde.

Ainsi la physique de Parménide ne peut représenter l’enseignement même de Pythagore, toutefois elle en est plus voisine que tout autre système, surtout que celui de Philolaos. Mais Pythagore a-t-il réellement professé une doctrine complète de physique ? On peut au moins en douter. L’enseignement oral d’une doctrine est en tout cas séparé par une telle distance d’une rédaction que tout pythagorien qui a écrit a nécessairement fait secte dans l’école ou s’est rattaché à une secte. Parménide a écrit sa physique comme un pythagorien l’eût fait ; il n’a donc pas échappé à la loi fatale ; il faut donc le regarder comme un sectaire, mais comme celui qui s’écarte le moins du dogme primitif.

Je ne m’arrêterai pas à la donnée péripatéticienne d’après laquelle l’Eléate aurait donné à son élément « subtil » le rôle actif de cause, à l’élément « dense » le rôle passif de matière. Ed. Zeller en a fait justice au fond ; quant à la possibilité qu’elle ait trouvé une apparente justification dans le langage de Parménide, il faudrait savoir comment il expliquait la genèse du monde et comment il en comprenait la destruction. À cet égard malheureusement, nous n’avons que quelques indices absolument insuffisants, et dont nous ne pouvons même apprécier la valeur[1].

  1. Stobée, Ecl. I, 22. — L’air est issu de la terre, dont la violente condensation a produit une évaporation. Le Ps. Plutarque des Stromates représente au contraire la terre comme un précipité de l’air dense. — I, 25 : Le soleil et la