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TANNERY. — la physique de parménide

sous deux noms : (c’est une de trop, et c’est en cela que consiste l’erreur) ; on a séparé et opposé les corps, posé et distingué les limites ; d’une part le feu éthérien, la flamme bienfaisante, subtile, légère, partout identique à elle-même, mais différente de la seconde forme ; d’autre part, celle-ci, opposée à la première, nuit obscure, corps dense et lourd. Je vais t’en exposer tout l’arrangement suivant la vraisemblance, en sorte que rien ne l’échappe de ce que connaissent les mortels. »

Après les observations que je viens de faire, ces vers n’ont besoin d’aucun commentaire ; mais je ne puis passer sous silence les principales erreurs qui ont eu cours à leur sujet.

Tout d’abord il s’agit bien des pythagoriens, c’est-à-dire des hommes qui seuls alors avaient une réputation de science dans la contrée qu’habitait Parménide. Il ne semble guère connaître les Ioniens qui, tous avant lui, avaient résolument affirmé l’unité ; quant au vulgaire, je ne puis concevoir comment Ed. Zeller[1] y pense ; le vulgaire n’est certes pas particulièrement dualiste, et il y a une singulière exagération à dire que la perception sensible et l’opinion commune voient en toutes choses l’union de substances et de forces opposées.

Mais cela serait-il vrai, que la réduction de toutes les oppositions à une seule opposition fondamentale constituerait un pas immense, et rien ne me parait motiver l’attribution de cette réduction à Parménide personnellement, alors qu’il la présente comme lui étant étrangère, et alors que tout nous indique qu’elle avait été faite par les Pythagoriens.

En second lieu, les deux formes de l’être ne correspondent nullement, comme le prétend Aristote, à l’opposition de l’être et du non-être ; il faut absolument torturer le sens des textes de Parménide pour y reconnaître cette opposition : Le πέρας et l’ἄπειρον des pythagoriciens étaient également matériels et avaient également droit au titre d’être. Le non-être (vide absolu) ne fut ajouté à l’être que par les atomistes ; ils entrèrent les premiers dans la voie que l’Eléate avait voulu interdire, alors que, de son temps, le développement des spéculations géométriques devait commencer à le rendre possible.

Si Parménide décrit le feu comme homogène, c’est seulement pour opposer sa ressemblance à lui-même avec sa différence par rapport au second élément ; il ne dit nullement que ce dernier est hétérogène, et une telle affirmation eût été un non-sens de sa part,

  1. La philosophie des Grecs, traduction Boutroux, vol. II, p. 57.