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Que l’intelligence et que la nature du corps des hommes
En tout et pour tous ; ce qui prédomine fait la pensée (νόημα).


« Ainsi il parle de la sensation et de l’intelligence comme d’une même chose ; il s’ensuit que la mémoire et l’oubli résultent des deux éléments suivant leur mélange ; s’ils s’équilibrent, y a-t-il intelligence ou non, quel est le résultat ? il n’a rien déterminé à cet égard. Il est clair d’ailleurs qu’il admet que la sensation se fait par le contraire en lui-même, dans ce passage où il a dit que le cadavre, par suite du défaut de feu, ne perçoit ni la lumière, ni la chaleur, ni le bruit, mais qu’il sent le froid, le silence et les contraires ; ainsi tout être en général a une certaine connaissance. Il semble, de la sorte, avoir coupé court, par une affirmation, aux difficultés qui se présentent à la réflexion. »

Il est clair, quand on lit ce passage sans prévention, que Parménide, pour ce qu’en rapporte Théophraste, se mouvait dans un ordre d’idées complètement différent de celui d’Alcméon traitant des sensations. Mais bien loin d’y voir des principes de doctrine opposés de part et d’autre, on reconnaîtra que les points de départ sont les mêmes.

La confusion que fait Parménide entre la sensation et la pensée, tient uniquement au peu de précision de sa langue poétique, et il n’y a pas à s’y arrêter avec Théophraste, pas plus qu’aux conclusions qu’en ont tirées les doxographes[1]. À la date où nous sommes, on ne peut songer à une classification tant soit peu précise des diverses facultés, ni aux distinctions correspondantes de substances qui apparaîtront historiquement après Anaxagore. Quant aux sensations elles-mêmes, Alcméon en avait essayé une description plutôt qu’une explication ; on voit percer néanmoins dans cet essai la tendance à retrouver à l’intérieur des organes des substances identiques à celles des objets perçus, le feu dans l’œil, l’air vibrant dans l’oreille, etc. Le principe d’explication de la perception du semblable par le semblable n’est nullement formulé ; mais il se trouve comme sous-entendu. Ce principe, Parménide le dégage et le développe avec la rigueur logique qu’on lui connaît, en l’appliquant à ce que l’on peut appeler son hypothèse dualiste.

Mais cette hypothèse, sur laquelle nous reviendrons, ressemble singulièrement à celle d’Alcméon, si on l’applique à la constitution du corps humain. Le Crotoniate remarque les nombreux couples de

  1. Stobée (Doxog., p. 392), Παρμενίδης καὶ Ἐμπεδοκλῆς καὶ Δημόκριτος ταὐτὸν νοῦν καὶ ψυχήν, καθ’ οὕς οὐδὲν ἄν ἐίη ζῷον ἄλογον κυρίως.