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II

Avant d’aborder Parménide lui-même, il ne sera pas hors de propos d’interroger le témoin plus ancien encore que nous avons déjà indiqué, ce médecin de Crotone, disciple immédiat de Pythagore, qui fut le premier physiologue. Il s’agit en effet de savoir si nous n’entrons pas dans une fausse route, et s’il est possible de constater une influence d’Alcméon sur Parménide, influence qui, dans les suppositions que nous avons faites, doit nécessairement s’être exercée.

À cet égard, on peut avoir toute satisfaction. La caractéristique d’Alcméon dérive de sa profession[1] ; c’est lui qui le premier aborda les questions physiologiques, laissées par les premiers Ioniens en dehors du cercle de leurs théories, négligées plus tard par les pythagoriciens postérieurs. Nous trouvons au contraire ces mêmes questions traitées par Parménide et par Empédocle, et l’on ne peut douter qu’ils ne les empruntent au Crotoniate.

Il serait dès lors très désirable de pouvoir déterminer jusqu’à quel point Parménide a conformé son exposition poétique aux doctrines de son précurseur. On pourrait juger ainsi du degré de probabilité qu’il peut y avoir de retrouver dans sa physique de véritables dogmes pythagoriques. Malheureusement les fragments sont trop confus et contradictoires pour qu’il soit possible d’en tirer avec assurance une conclusion précise.

Théophraste (De sensu, 25, 26)[2] donne une courte notice très nette

  1. Diog. Laërce, VIII, 83 : τὰ πλεῖστα γε ἰᾳτρικὰ λέγει.
  2. « De ceux qui n’attribuent pas la sensation au semblable, Alcméon commence par définir la différence par rapport aux animaux. L’homme, dit-il, en diffère parce qu’il est seul intelligent ; les autres animaux ont la sensation, non l’intelligence ; celle-ci serait donc distincte de la sensation, et non pas une même chose, comme pour Empédocle. Nous entendons, dit-il, grâce au vide qui existe dans les oreilles ; il résonne en concordance avec l’air, alors que le bruit pénètre dans la cavité. Nous sentons par le nez en même temps que la respiration amène l’air du côté du cerveau. La langue discerne les saveurs ; tiède et de peu de consistance, la chaleur l’amollit ; relâchée et faisant éponge, elle reçoit les sucs et les communique. L’œil voit à travers l’eau qui en forme la périphérie ; car, qu’il renferme du feu, cela est clair, un coup reçu par l’œil le fait paraître ; on voit donc par ce qui est brillant et diaphane, alors qu’il subit une contre-illumination, et d’autant mieux qu’il est plus pur. Toutes les sensations ont une certaine attache avec le cerveau et se perdent quand ce dernier se meut et se déplace, car il obstrue les pores par lesquels elles pénètrent. Quant au toucher, Alcméon n’a point dit comment ni par quel intermédiaire il se faisait. »