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BROCHARD. — DE LA CROYANCE

ment. Ce ne sont pas les objets sensibles qui, selon lui, font sur l’âme une impression matérielle. Mais l’idée claire et distincte s’offre à l’esprit de telle manière qu’elle diffère spécifiquement de toute autre, et elle est toujours accompagnée de certitude : la certitude est un état sui generis, que seule la vérité peut produire, et qui l’accompagne toujours. On n’est jamais certain du faux. « Jamais, dit-il énergiquement, nous ne dirons qu’un homme qui se trompe puisse être certain, si forte que soit son adhésion à l’erreur[1]. »

L’impossibilité d’être certain du faux, l’impossibilité pour une chose qui n’est pas réelle de faire sur l’âme une impression égale à celle qui est produite par un objet réel, voilà où conduit forcément la thèse dogmatique. Il faut absolument renoncer à cette thèse, ou souscrire à cette conséquence.

Au premier abord cette conséquence peut paraître acceptable. Le sens commun lui-même semble l’admettre : si l’homme qui se trompe dit, au moment où il se trompe : je suis certain ; quand il a reconnu son erreur, il dit : je me croyais certain. Et il n’y a là rien de choquant, si, comme le fait le sens commun, d’accord en cela avec le dogmatisme, on définit la certitude l’adhésion à la vérité. Mais le sens commun n’y regarde pas de très près : des philosophes ont le devoir d’être plus vigilants. Or, ils n’ont pas le droit de faire entrer cet élément, l’adhésion à la vérité, dans la définition de la certitude. On vient de voir en effet que la vérité n’est connue que par l’intermédiaire de la certitude ; on ne sait qu’une chose est vraie que parce que on en est certain ; on va de la certitude à la vérité, non de la vérité à la certitude. En d’autres termes, si on veut éviter un pitoyable cercle vicieux, il faut définir la certitude en elle-même, telle qu’elle apparaît dans le sujet, et ne faire entrer dans cette définition que les données de la conscience ; elle doit être exprimée en termes purement psychologiques, et il faut en exclure tout élément métaphysique. On pourra dire qu’elle est une adhésion, ou un consentement entier, irrésistible, inébranlable, sans aucun mélange de doute. Et ainsi définie en termes purement subjectifs, la certitude doit toujours différer spécifiquement de la croyance.

Cela posé, sommes-nous en droit de dire qu’il existe une telle différence spécifique ? Ne nous arrive-t-il pas de donner à l’erreur cette adhésion entière, irrésistible (autant du moins que nous en pouvons juger), inébranlable (au moins tout le temps que dure la croyance) ? Osera-t-on soutenir qu’à chaque instant nous ne soyons pas certains du faux ? Nous avons beau déclarer, une fois notre erreur reconnue,

  1. Spinoza, Eth., p. II, prop. XLIX, Schol. ; Cf. p. II, pr. XLIII.