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l’explication, bien autrement aisée à découvrir, des seconds. On le voit, c’est une simple présomption nouvelle que je poursuis ; et, si je la crois défavorable à Darwin, je m’empresse de déclarer que je n’en suis pas moins un transformiste convaincu. Le défaut du système de la sélection est d’être un comment inexact ou insuffisant du transformisme. Mais le mérite éminent du transformisme est de comporter un comment de cette valeur, d’une vraisemblance si spécieuse. A-t-on jamais osé risquer le comment de la création des espèces ? Y a-t-il quelque part, en théologie, une doctrine tant soit peu formidable et développable logiquement, qui soit au créationnisme ce que le sélectionnisme est au transformisme, c’est-à-dire qui nous explique la manière dont, par exemple, le limon s’est fait homme ? Mais, cela dit, je revins à Darwin, jugé, selon moi, par l’insuccès du darwinisme sociologique.


I


On m’arrête ici pour m’objecter la complexité soi-disant supérieure des faits sociaux. Cela semble sauter aux yeux ; les positivistes l’ont dit, les darwinistes le répètent. Chez ceux-ci, cette illusion est une conséquence forcée de leur façon de comprendre l’évolution universelle. Dans l’évolution au sens de Hegel, les triades au moins se détachaient nettement ; c’étaient les anneaux d’une chaîne logique. Au sens de Darwin, ce n’est plus qu’une corde sans fin et sans nœuds, sorte de hégélianisme désossé pour ainsi dire. Imbus de l’idée qu’une distinction nette et tranchée entre les êtres, entre les composés successifs des éléments cachés, serait inconciliable avec la théorie de la descendance, les darwiniens sociologistes, à propos de sociologie, se croient non seulement le droit, mais le devoir de parler de tout, et de physiologie, et de physique, et de chimie, et de quibusdam aliis. « Ce vaste ensemble du mouvement social qui comprend le mouvement universel, dit M. Vadala-Papale, doit être étudié comme l’intégrale et la différentielle supérieure de tous les corps et tous les mouvements organiques et inorganiques. » Il est évident qu’à ce point de vue un élément doit être toujours réputé plus simple que le composé dont il fait partie, et par conséquent l’organisme plus simple que la nation. Mais n’est-ce pas la négation même du point de vue proprement scientifique, qui consiste, si je ne me trompe, à admettre dans la réalité des découpures naturelles, et à prendre pour point de départ dans chaque ordre de recherches non pas un