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DARWINISME NATUREL
ET DARWINISME SOCIAL




J’emprunte ce titre à un ouvrage récent d’un philosophe italien, M. Vadala-Papale, dont je ne me propose point d’ailleurs d’exposer les idées. L’auteur est darwiniste et, malgré le mérite de ses aperçus, l’on devine sans peine, après tant d’essais semblables qu’a inspirés en tout pays le point de vue darwinien appliqué aux sociétés, ce que doit être son esquisse de science sociale. Pour commencer demandons-nous si la facilité même avec laquelle cette doctrine déborde hors de son lit propre et s’applique à n’importe quoi n’a rien de suspect. La vocation à l’empire universel n’est pas le privilège ni même la marque des idées vraies, surtout des idées complètes ; mais il en est de certaines idées vaguement vastes comme des États sans frontières naturelles, d’autant plus conquérants par nécessité qu’ils sont moins solides peut-être. Le passé de la philosophie compte pas mal de ces idées à tout faire qui ont eu leur temps, par exemple, sans aller si loin, la trichotomie hégélienne. Comme la synthèse des contraires, qui a fait fureur, notamment en histoire, la sélection du plus apte est une de ces formules magiques qui ont le don d’obséder l’esprit où elles sont entrées. Méfions-nous de leur ensorcellement. — Se donner encore la peine d’étendre aux sociétés le sélectionnisme, c’est vraiment bien superflu. Mais, en théorie et en pratique, fait-on autre chose depuis dix années ? Il est entendu, nous le savons, que la vie est une lutte ; les romanciers qui ont le plus à se louer de la bienveillance du public ne nous parlent que des batailles de la vie ; pas un jeune bachelier qui, sortant de la maison paternelle et courant à l’École de droit, ne soit pénétré de cette vérité. À peine éclos de ces foyers de dévouement si mal récompensés qu’on nomme la famille ou le collège, courant par les rues où des sergents de ville complaisants lui indiquent son chemin et lui assurent la protection des lois, reçu dans des maisons amies, dans des cercles de camarades qui l’acclament s’il a du talent, qui le défendent s’il est faible, qui le soignent s’il