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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

II

Examinons maintenant la nature et la portée du raisonnement chez l’enfant. S’il ne raisonne pas par concepts généraux, comme l’adulte, suivant certains, le fait même à son insu, ne trouve-t-on pas du moins chez lui cette tendance à l’état de germe ? Les faits vont nous répondre.

Sans doute, même à l’âge de trois mois, et à plus forte raison à l’âge de trois ou quatre ans, l’enfant paraît manifester une tendance de ce genre. Ayant trop approché son doigt d’une bougie, la douleur qu’il éprouve lui fait instinctivement retirer la main. Il lui faudra d’autres expériences pareilles, mais pas très nombreuses, pour qu’il retire sa main à la seule vue d’une bougie. À l’âge de six ou sept mois, il retire en général sa main, quand il la sent ou la voit trop près d’un certain nombre d’objets sur lesquels il a répété ces expériences douloureuses. Un métaphysicien idéaliste reconnaît là, sans hésiter, l’instinct rationnel de la généralisation, qui fait appliquer une expérience à toute série d’expériences analogues. Un métaphysicien empirique attendra que l’enfant ait appris nos mots, et par sa tendance instinctive à les généraliser, les ait aussitôt échangés en substituts commodes des expériences passées, pour déclarer qu’il induit et déduit, qu’il applique ces substituts communs à des cas analogues. Il n’y a pourtant là rien de général, au sens propre du mot. Autrement, vous aurez le droit d’appeler principe de déduction la coordination toute mécanique des mouvements qui, chez le plus infime des êtres, répond à telle sensation extérieure donnée. Nous avons, quant à nous, beaucoup de peine à concevoir une déduction quelconque dans un être qui n’a par devers lui, comme l’infusoire nouveau-né, aucune expérience de chocs réels et de mouvements propres à réagir contre eux[1]. Éviter le feu ou la chaleur brûlante sous un certain

  1. M. E. Pannier, cherchant (Revue phil., septembre 1882, p. 298) les origines du syllogisme, ou du raisonnement scientifique, les trouve dans cette tendance toute mécanique. « L’être rudimentaire chez lequel toutes les impressions résultant d’un choc aboutissent à une contraction en vertu d’un ajustement préétabli, ignore les événements qui réaliseront pour lui les conditions du choc prochain, et ne peut pas même savoir si celui-ci se produira jamais. Il possède néanmoins tous les éléments d’une conclusion applicable à ce choc, et qu’une conscience plus compliquée pourrait essayer de formuler de la manière suivante : « Tout contact implique un danger ou annonce une proie. Tout