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trop variable, pour critérium du beau, et nous n’avons aucun moyen valable de choisir entre les divers sentiments celui qui est le bon, ni même, en y regardant de près, de comprendre, ce qu’est, en pareil cas, le bon sentiment. Le beau sera-t-il choisi à la majorité des suffrages ? sera-t-il déterminé par une aristocratie de gens compétents ? Mais qui déterminera la compétence ? et qui pourrait nier que parmi les gens que l’on regarderait à peu près universellement comme compétents les goûts ne sont très divers encore ? Il faut forcément, si l’on veut s’appuyer sur une base solide, admettre que le beau peut se démontrer, je ne dirai pas mathématiquement, mais scientifiquement, par les lois de la philosophie et de la psychologie. Je ne dis pas que les lois qui serviront à cette démonstration aient été toutes trouvées et qu’on ait bien su s’en servir ; tout au moins en savons-nous assez pour croire à leur existence, et nous en connaissons même quelques-unes.

Mais ce n’est pas tout : on peut admettre, d’après ce que j’ai dit, des illusions musicales portant sur le degré de beauté d’une œuvre ; mais M. Weber ne s’en tient pas là : il s’occupe surtout d’illusions musicales de nature plus précise. C’est ainsi qu’il désigne par ce mot la couleur locale, l’extase, la folie en musique, l’imitation, etc. Ici, le critérium objectif est peut-être plus difficile à trouver et même à admettre. Si, en effet, je trouve que telle musique a une couleur suisse ou turque, je demande comment on me prouve que je me trompe. Il ne suffira pas de me l’affirmer évidemment. Si j’admets que telle musique me produit une impression qui me rappelle tel ou tel pays et me parait mieux s’accorder avec celui-là qu’avec tous les autres, je ne sais trop comment on me montrera que je suis le jouet d’une illusion. Il s’agit en effet ici d’un sentiment subjectif éveillé par la musique ; ce sentiment, je suis bien forcé de le constater ; on me dit qu’il est le résultat d’une erreur ; je ne comprends guère tout d’abord, puisque je n’affirme rien que la production en moi de ce sentiment. Dire en effet qu’un morceau de musique ou un opéra a de la couleur locale, ce n’est pas autre chose que constate qu’il fait naître certaines impressions subjectives. Or une impression subjective ne peut être une illusion, si l’on se borne à la constater avec soin. Ce qui peut être une erreur, c’est le rapport que l’on établit entre ce sentiment subjectif et les moyens objectifs qui le produisent. Mais ceci aurait demandé à être analysé avec beaucoup de soin et très minutieusement. M. Weber, qui a cependant l’esprit très fin et droit, n’a pas étudié assez à fond cette question.

Après une introduction dans laquelle l’auteur tâche de démontrer que la musique n’est pas un art conventionnel, il aborde l’étude des illusions musicales. Cette étude comprend plusieurs chapitres, consacrés aux erreurs causées par l’ignorance, l’habitude et les préjugés, à la musique imitative, à la musique descriptive, à la couleur locale, à la folie, à l’extase et au mysticisme en musique, aux caractères des gammes et des modes, à la musique de vers. Le dernier chapitre du livre est consacré à la détermination de l’expression musicale.