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BONATELLI. — sensations et perceptions

toujours et en tout chronologique. Qu’elles soient simultanées, qu’elles s’entremêlent tant que l’on voudra la priorité que j’ai en vue est surtout logique, puisque je mets en premier lieu celle qui contient la condition d’une autre et ainsi de suite. Du reste, aussitôt que l’homme est en état d’affirmer, de reconnaître une existence, l’objectivation est commencée. Son développement et son perfectionnement consisteront de préférence en ce que ces existences seront mieux déterminées, mieux distinguées entre elles, en ce que l’on assignera les limites entre le moi avec ses modifications et ses activités d’une part et les autres choses d’autre part.

Quant à la distinction entre le moi et mon corps, sans doute elle apparaît plus tard et suppose un degré de conscience bien supérieur. Cependant dans tous ces procédés l’objectivation est soutenue et dirigée par les processus mécaniques de la localisation et de la projection que nous avons décrits. Voilà les raisons qui m’ont persuadé à ranger les trois faits en question dans un ordre qui est l’inverse de celui où les dispose M. Souriau.

Maintenant, si nous revenons un peu sur l’analyse des faits psychiques qui servent de fondement à la localisation et à la projection, nous devrons observer que toutes les sensations sont objectives (prenant ce mot dans la signification très large où le prend M. Souriau) en ce qu’elles présentent au sujet, en ce qui apparaît, en leur contenu en somme ; subjectives en ce que ce contenu apparaît au sujet. — C’est la même distinction que les psychologues allemands et surtout les herbartiens indiquent en opposant la Vorstellung ou l’Inhalt der Vorstellung au Vorstellen, c’est-à-dire la représentation à l’action de représenter. — Mais ce côté subjectif de la sensation reste en général caché, inaperçu, c’est-à-dire qu’il ne se montre pas explicitement dans la conscience, à moins que quelque circonstance spéciale ne provoque la réflexion, par exemple sous forme de réponse à la question : qui est-ce qui entend ce son ? qui est-ce qui voit cette couleur ?

Conformément à ce que nous avons dit, la simple présentation, l’existence actuelle en nous du contenu sensible, ne devant pas être confondue avec la pensée, avec la conscience dans sa signification propre, il est évident que cette affirmation : J’entends ce son, je vois cette couleur, est un fait de l’ordre intellectuel, et partant nous ne sommes pas autorisés à le supposer dans la brute.

Mais la sensation contient en elle-même l’élément subjectif ; et la conscience intellectuelle ne pourrait pas s’affirmer, s’il n’y était pas contenu. Pourquoi donc avons-nous dit qu’ordinairement il n’apparait pas, ne se présente pas comme tel au sujet sentant ? C’est précisé-