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de la vue. Le retour de ces odeurs dans leur ordre régulièrement inverse, chaque maison, fossé, champ ou village, ayant sa propre individualité bien marquée, rendra facile à l’animal de revenir exactement par la même route, quel que soit le nombre des détours ou des carrefours qui se trouvent sur le chemin. Cette explication me semble applicable à tous les faits bien authentiques de ce genre. »

Malgré l’autorité du nom de M. Wallace, une affirmation aussi nette ne pouvait manquer de soulever de vives protestations. Toutefois M. Croom Robertson avait émis[1], en s’appuyant sur ces idées, une théorie ingénieuse que nous devons exposer. « Notre monde extérieur (soit réellement perçu, soit représenté par l’imagination) peut être appelé un monde d’impressions visuelles et tactiles, liées et modifiées les unes par les autres, de la manière la plus intime… Toutes les autres sensations, comme celles de l’ouïe, de l’odorat et du goût, ne nous arrivent que d’une manière discontinue et intermittente, tous les objets n’en fournissant pas, et le même objet n’en fournissant pas toujours. Mais, chez un chien, le toucher ne peut coopérer avec la vue, comme il le fait régulièrement chez nous. Chez l’homme, l’organe effectif du toucher, du sens qui s’associe avec la vision, est, en dernier ressort, la main qui réunit le plus haut degré de mobilité et de sensibilité et le chien n’a pas de mains. Ses membres mobiles ne sont point sensitifs à leur extrémité et bien que ses lèvres le soient, comme elles n’ont pas la mobilité active de la main de l’homme, elles ne peuvent fournir que des notions fort limitées. Son toucher étant si défectueux, qu’est-ce donc qui vient, chez le chien, jouer le second rôle après la vue, qui a besoin d’être aidée, ne serait-ce que parce qu’il ne fait pas toujours clair ? Je ne puis m’empêcher de penser que c’est l’odorat, en voyant que, tandis que l’odorat est incontestablement très fin, il a encore sur la surface tactile des lèvres ce grand avantage de pouvoir recevoir des impressions d’objets situés à une certaine distance. Si nous supposons seulement, ce que les faits rendent très probable, que l’odorat du chien est assez fin pour recevoir des sensations de tous les corps sans exception, il n’y a pas besoin d’autre chose pour permettre au psychologue de comprendre que le monde du chien doit être principalement un monde continu d’impressions visuelles et olfactives… Dans ce cas, un chien transporté dans un panier pourrait, à l’aide de l’odorat seulement, retrouver son chemin à peu près comme un homme, les yeux bandés, le retrouve à l’aide du toucher seulement. » Toutefois le professeur Robertson ajoute sage-

  1. The Nature, 27 février 1873, p. 323.