Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/6

Cette page n’a pas encore été corrigée
2
revue philosophique

animi et corporis pourrait bien être éliminée de la psychologie ; Reusch (1754), qu’il fallait réduire de beaucoup, toute sa partie « rationnelle » a cause du caractère hypothétique, dont elle n’est que trop empreinte ; Dalham (1756) rêve une psychologie κατ’ ἐξοχὴν, qui n’aurait plus rien à faire avec les mystères métaphysiques, concernant l’union de l’âme et du corps, et dont tous les efforts seraient dirigés vers l’investigation possible des phénomènes de l’entendement. C’est de cette manière, à son avis, qu’on pourrait espérer une unité d’opinions. Enfin Krüger (1756) osa même faire disparaître de la psychologie tous les chapitres sur l’essence et sur l’immortalité de l’âme, « parce que, disait-il, l’expérience ne nous en dit rien. » D’ailleurs, c’est lui aussi qui, dans son Versuch einer Experimentalseelenlehre (1756), fait entrer l’expérience médicale dans le domaine de la science de l’âme, sujette, d’après son expression, à « d’immenses lacunes ».

On voit donc qu’au beau milieu du xviiie siècle, dans cette romantique et chaleureuse Sturmund Drang-Periode, on a été bien près des exigences modernes. Malheureusement, c’étaient plutôt des intuitions, des aspirations instinctives, que des convictions conscientes et mûres. Étant prématurées, elles sont restées stériles, et ce n’est qu’un siècle plus tard que la psychologie κατ’ ἐξοχὴν, pressentie par Delham et Krüger, naquit dans les œuvres de Spencer (1855) et de Bain (1855-59).

Durant tout ce siècle, qu’a-t-on fait ? On a rêvé un beau rêve sur les choses en soi. C’était sans doute un spectacle surprenant et splendide que cette succession des systèmes hardis, évoqués par Kant, se déroulant sous les yeux d’un public fatigué et rassasié par les bouleversements révolutionnaires du xviiie siècle. Il y avait, là aussi, une révolution, mais une révolution d’outre-tombe, une renaissance transcendante, où l’on voyait renaître et s’accomplir toutes les aspirations métaphysiques du passé, toute cette religion de l’inconnaissable, ayant sa méthode, j’allais dire son langage ses axiomes, c’est-à-dire ses entités, et son monde à elle, où l’absolu règne en paix.

La modeste science des phénomènes psychiques n’a joué aucun rôle dans cette magnifique représentation. Elle fut disgraciée par les philosophes, envahie par les flots du transcendantalisme et confinée sur les bancs des écoles. La doctrine des sensualistes français, qui n’était en fin de compte qu’une doctrine et non une science, fut démolie par la réaction. La théorie associationiste des Écossais fut oubliée ou mal comprise, du moins sur le continent, et l’on s’habitua de nouveau à confondre la psychologie empirique et la psychologie rationnelle, pour en fabriquer un mélange, bien indigeste, dont s’est