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REVUE PHILOSOPHIQUE

Gloria tanquam in cantico novo) vitam nostram produxerit, unam, aut plures ejus operis partes, prout fuerint magis aut minus arduæ, aut copiosæ, confecturos et edituros. » Bien entendu, ce singulier vœu ne fut pas tenu. Il était d’ailleurs contradictoire avec la grande entreprise de Bacon, lequel ne pouvait consacrer ainsi toute la fin de sa vie à développer la troisième partie de l’Instauratio, sans renoncer du même coup à en écrire jamais les quatrième, cinquième et sixième parties.

En réalité, il n’acheva rien ; il laissa tout dans une telle confusion, qu’il est à peu près impossible de savoir en quel endroit de son œuvre il se proposait de placer les fragments informes écrits dans ces quatre dernières années et publiés après sa mort. À l’exception de The new Atlantis’’, écrit soigné, qu’il eût sans doute publié tel quel, bien qu’inachevé[1], et dans lequel il célèbre, sous une forme qui se fait lire de tous, les résultats pratiques que peut donner un jour l’étude de la nature, il est difficile de voir dans tout le reste autre chose qu’un amas de notes, dont lui-même sans doute ne savait pas toujours au juste l’usage qu’il pourrait faire. C’est du moins l’impression que laisse toute cette dissertation de M. Fowler sur les écrits de son auteur, leurs rapports entre eux et leur ordre chronologique.

Il prouve victorieusement contre Liebig que le Novum organum fut écrit en latin par Bacon lui-même ; mais peut-être est-ce accorder bien du poids à un paradoxe que de le réfuter si gravement. Liebig prétend[2] que Bacon n’a écrit qu’en anglais et que tous ses ouvrages latins ne sont que des traductions, souvent faites par des gens qui n’entendaient rien aux sujets traités. Sa raison de le croire est une lettre de Bacon au docteur Playfer, de Cambridge[3] le priant de traduire son Advancement of Learning ; il en conclut que Bacon n’était pas, à quarante-six ans, capable de se traduire lui-même en latin, et que plus tard, à plus forte raison, absorbé par les grandes charges et les affaires, il dut être hors d’état de composer dans cette langue. Mais il est visible que le raisonnement ne vaut rien. Quelques loisirs qu’on ait (et Bacon n’en avait point, même alors, eu égard à tant de projets divers qui s’agitaient dans sa tête), il ne manque pas de raisons autres que l’ignorance, pour qu’on s’épargne la besogne fastidieuse de traduire soi-même ce qu’on vient d’écrire. D’ailleurs les témoignages positifs abondent, en particulier pour le Novum organum. Bacon l’a écrit en latin, dans un latin qui porte sa marque. Qu’on pense ce qu’on voudra de cette langue, un peu abrupte, mais large et vigoureuse, elle est bien à lui ; et les manuscrits qu’on a de lui au British Museum prouvent qu’il l’écrivait aussi volontiers, aussi facilement que l’anglais même.

  1. Cet écrit fut publié seulement en 1627, par Rawley, à la suite du Sylva sylvarum.
  2. Dans l’Allgemeine Zeitung, 3 nov. 1863 et 6 mars 1864.
  3. Dans Spedding, Life and Letters, t. III, p. 300.