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plus vrai en Allemagne et chez nous qu’en Angleterre. Dans les universités anglaises, Bacon est un vrai classique, à expliquer dans l’extrême détail. Aussi l’édition de M. Fowler a-t-elle été faite pour les étudiants.

Elle représente une somme incroyable de recherches. Une introduction de 150 pages traite en une quinzaine de dissertations, dont chacune est comme un travail à part, les principaux points de biographie, de chronologie, de doctrine, d’histoire des sciences, qu’il est bon de tirer au clair pour bien comprendre l’œuvre de Bacon. Les explications plus particulières que le texte demande sont données dans une sorte de commentaire perpétuel qui règne au bas des pages. L’éditeur a prodigué les notes, en homme que rien n’embarrasse plus, tant il est maître de son sujet : tout est éclairci et interprété pour ainsi dire ligne par ligne. Deux tables analytiques fort soignées et fort commodes terminent le volume, l’une qui se rapporte à l’introduction, l’autre au texte latin et aux notes.

Je voudrais indiquer les questions touchées dans cette introduction, et, sur chacune des plus importantes, l’opinion de M. Fowler. Mais il est impossible de ne pas exprimer d’abord un regret. Pourquoi ces dissertations juxtaposées, sortes de monographies sans lien, au lieu d’une étude d’ensemble, composée et suivie, sur Bacon philosophe ? Le sujet a-t-il paru trop vaste ? On ne ménageait pourtant ni le temps ni la place. Il est très vrai qu’une telle esquisse générale « se trouve dans presque toutes les histoires de la philosophie » : mais on pouvait se restreindre, par exemple à la Logique de Bacon : c’était là la véritable introduction au Novum organum. En s’y bornant, et en s’imposant un plan, on s’épargnait, à soi et au lecteur, le décousu et les redites. C’est à ce défaut de composition qu’il faut attribuer, sans nul doute, l’impression un peu confuse qu’on garde en somme de cette savante étude. Il est vrai que, pour M. Fowler la doctrine de Bacon manque essentiellement d’unité ; et peut-être a-t-il craint, en l’exposant méthodiquement, de lui prêter un caractère systématique qu’il lui refuse. Mais n’était-il pas possible, à qui possède une si complète et si remarquable connaissance de la matière, de coordonner tant de réflexions, de rapprochements et de lectures de manière à laisser précisément une idée plus nette de ce qui a manqué à Bacon ? Kuno-Fischer construit, avec les matériaux fournis par Bacon, un système trop bien lié et le fait plus philosophe qu’il n’était ; mais on pouvait, ce semble, en rabattre et procéder encore, en cela même, d’une manière philosophique.

Les questions agitées dans ces prolégomènes sont surtout celles qui prêtent à controverse. Pour la vie de Bacon, une simple table chronologique suffisait ; elle dispense l’auteur de refaire pour son compte une biographie si souvent écrite. Il place vers 1608 le commencement probable du Novum organum, publié seulement en 1620 ; je dis publié, non achevé, car M. Fowler montre par des passages du livre II (apho-