Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
REVUE PHILOSOPHIQUE

Tant que les agrégats sont petits, l’incorporation de matériaux destinés à la croissance se fait aux dépens d’autres agrégats sur une petite échelle ; les moyens sont, d’un agrégat à l’autre, l’occupation de son terrain de chasse, le rapt des femmes et de temps en temps l’adoption des hommes. Lorsque de grands agrégats sont formés, l’incorporation se fait par des moyens plus étendus : c’est d’abord l’asservissement de membres isolés, ravis aux tribus vaincues, et bientôt l’annexion en masse de ces tribus. Enfin, à mesure que les agrégats composés passent à l’état doublement ou triplement composé, il s’y développe des désirs d’absorber des sociétés voisines plus petites et par là de former des agrégats encore plus grands.

Des conditions diverses favorisent ou empêchent la croissance et la consolidation sociales. L’habitat d’une société est propre ou impropre à l’entretien d’une population nombreuse ; des facilités de relations plus ou moins grandes à l’intérieur du territoire de cette société favorisent ou empêchent la coopération ; suivant qu’il existe ou non des barrières naturelles, il est aisé ou difficile de tenir les individus réunis sous la contrainte qui est nécessaire au début de la vie sociale. Enfin, selon la détermination imprimée par les antécédents de la race, les individus peuvent posséder plus ou moins les dispositions physiques, émotionnelles, intellectuelles qui les rendent propres à l’action combinée.

Si d’une part l’étendue jusqu’où peut aller dans chaque pas l’intégration sociale dépend en partie de ces conditions, elle dépend aussi en partie du plus ou moins de ressemblance des unités. D’abord, tandis que la nature de l’homme est si peu façonnée pour la vie sociale, que la cohésion demeure faible, l’agrégation dépend grandement des liens du sang, qui supposent une grande ressemblance. Les groupes dans lesquels ces liens et l’accord qui en résulte sont le plus marqués et qui, possédant des traditions de famille communes, un ancêtre mâle commun, un culte commun de cet ancêtre, sont en conséquence semblables par les idées et les sentiments ; ces groupes sont ceux dans lesquels la cohésion sociale et la puissance de coopération les plus grandes prennent naissance. Durant longtemps, les clans et tribus descendant de ces groupes patriarcaux primitifs conservent leur concert politique, grâce à ce lien de parenté et à la ressemblance qu’il suppose. C’est seulement après que l’adaptation à la vie sociale a fait des progrès considérables, qu’une coopération harmonique entre individus qui ne sont pas sortis de la même souche est praticable ; et même dans ce cas faut-il encore que la dissemblance de leur nature ne dépasse pas certaines limites. Quand