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H. SPENCER. — DE L’INTÉGRATION POLITIQUE

pour les autres des objets d’étonnement par la conduite inattendue qu’ils tiennent : les voyageurs en font habituellement la remarque. Nouvel obstacle à l’action combinée. La diversité des coutumes devient aussi une cause de dissension. Lorsqu’un peuple fait usage d’aliments qu’un autre rejette avec dégoût ; lorsqu’un animal tenu pour sacré par l’un est pour l’autre un objet de mépris ; lorsque l’un s’attend à une salutation que l’autre n’observe jamais ; il y a des causes incessantes d’aversion qui empêchent les efforts combinés. Toutes choses égales, la facilité de la coopération sera en raison du sentiment de la confraternité, et ce sentiment se trouve contrarié par tout ce qui empêche les hommes de se comporter de même dans les mêmes conditions. La coopération des facteurs originaux et dérivés, énumérés plus haut, s’exprime très bien dans le passage suivant, que nous empruntons à Grote : « Les Hellènes étaient tous de même sang et de même lignée, ils descendaient tous du même patriarche Hellen. En traitant des Grecs historiques, il faut accepter ce point comme une donnée : ce fait représente le sentiment sous l’influence duquel ils se mouvaient et agissaient. Hérodote le place au premier rang, comme le principal des quatre liens qui reliaient les parties de l’agrégat hellénique, à savoir : 1o confraternité du sang ; 2o confraternité de langue ; 3o domiciles des dieux fixes et sacrifices communs à tous ; 4o usages et penchants semblables. »

L’influence que nous reconnaissons dès lors à la ressemblance de nature causée par une filiation commune, suppose qu’en l’absence d’une ressemblance considérable, les agrégats politiques demeurent instables et ne sauraient se conserver que grâce à une contrainte qui un jour ou l’autre ne peut manquer de défaillir. Bien que d’autres causes y aient aussi joué leur rôle, il n’est pas douteux que celle-ci n’ait eu une part dans la dissolution des grands empires des temps passés. C’est à cela, en grande partie, sinon avant tout, qu’est due de nos jours la décadence de l’empire turc. L’empire anglo-indien, maintenu par la force dans un état d’équilibre instable, menace de donner quelque jour par sa chute un nouvel exemple du défaut de cohésion qui provient du défaut d’accord des éléments.

L’une des lois de l’évolution en général veut que l’intégration s’opère dès que des unités semblables se trouvent soumises à l’action de la même force ou de forces semblables (Premiers principes, § 169) ; et, depuis les premiers moments de l’intégration politique jusqu’au dernier, nous voyons cette loi vérifiée. Le fait de se trouver exposés ensemble à des actions externes uniformes et d’y opposer ensemble des réactions a, depuis le commencement, été la cause principale de l’union entre les membres des sociétés.