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bler affermi par cette modification, en revêtant un caractère sérieusement scientifique qui lui manquait dans l’antiquité ; mais en réalité il se trouve détruit. En effet, les idées fondamentales de la science sont celles-ci :

Le mouvement universel est réglé d’une manière conforme aux lois de la pensée.

La force universelle, ou la puissance motrice initiale est constante.

La multiplicité indéfinie des phénomènes est produite par l’action combinée d’un petit nombre de causes.

Tels sont les résultats incontestés de la théorie qui interprète les données expérimentales. Si l’on veut s’élever à une doctrine relative au principe de l’univers, c’est-à-dire si l’on veut tenter une philosophie, on a donc pour point de départ les données suivantes :

Le premier moteur exerce son pouvoir selon l’intelligence.

Son action est constante et a pour effet d’obtenir d’innombrables résultats par un nombre limité de moyens.

Ce sont là certainement les caractères de ce que nous appelons la sagesse. Nous voilà fort loin du matérialisme. La physique, se bornant à l’étude directe de son objet, ne s’élève pas à des conclusions de cette nature ; mais les prémisses de ces conclusions se dégagent nettement des résultats les plus généraux de la science de la matière et font partie de la contribution offerte par cette science à l’étude du problème universel, qui est l’objet propre de la philosophie. Ce n’est pas tout : ces affirmations n’épuisent pas les conséquences philosophiques de la physique moderne.

La plus haute ambition de la physique est de généraliser l’hypothèse de la nébuleuse, en étendant à l’univers entier la conception formulée par Laplace en vue du système solaire. On pourrait alors déduire tous les phénomènes matériels de la disposition des éléments, d’un mouvement initial, et des lois de la communication du mouvement. Ce point de départ supposé est tenu pour primitif. L’organisation actuelle du monde serait expliquée au moyen de ces données, au delà desquelles la pensée ne remonterait pas. L’idée d’un développement, d’une évolution était étrangère à la plupart des esprits, au xviie siècle et même au xviiie siècle. L’opinion dominante, à cette époque, était que le monde avait été organisé dès l’origine comme il l’est maintenant. C’est à Descartes que remonte, dans les temps modernes, l’idée de rechercher comment le monde a pu être organisé progressivement, idée qui était familière aux philosophes de l’ancienne Grèce.

La théorie de l’évolution est l’expression d’un fait historique ; c’est