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Monsieur et cher Directeur,

En vous priant d’accueillir cette courte réponse, je n’ai nullement l’intention d’entrer dans le vif d’un débat qu’il sera utile, peut-être, de rouvrir un jour sous une autre forme. Aujourd’hui, je n’ai ni ne puis avoir qu’une pensée, cette d’éclaircir certains points de fait et de restituer à l’hypothèse que je propose quelques-uns de ses traits essentiels. J’accepte sans discussion pour le moment toute critique d’idées ou de doctrine ; je ne revendique que le droit de me présenter à la critique tel que je suis.

Votre très apprécié collaborateur, M. Paul Tannery, qui évoque, à ma grande reconnaissance, de vieux et chers souvenirs, fait deux parts dans le travail auquel il a bien voulu s’intéresser : ici il contredit, là il confirme. Ce qu’il n’accepte que sous réserves, c’est la partie métaphysique de ma thèse ; ce qu’il tient pour acquis, c’est la correction des vues scientifiques qui s’y rencontrent.

Au point de vue spécial des mathématiques, j’ose dire que rien ne pouvait m’être plus précieux que le témoignage d’un esprit aussi distingué et aussi sûr que M. Paul Tannery, un savant doublé d’un philosophe. Je puis donc prendre quelque confiance et me dire que le terrain sur lequel je me suis placé est solide. Il y a là un substratum de faits et d’idées qui résiste, et, pour l’heure, c’est l’essentiel.

Reste la partie métaphysique de l’ouvrage. À ce point de vue nouveau, j’ai hâte de prévenir une confusion. En me livrant à l’étude que j’ai entreprise, je me suis proposé un double but : expliquer l’infini mathématique par le fini qu’il suppose et dont il n’est vraisemblablement que le symbole ; — puis, l’horizon s’élargissant de lui-même, montrer, au sein de l’entendement, le mouvement d’une double dialectique, l’une réelle, l’autre idéale, dont il semble qu’il faille dès aujourd’hui tenir grand compte, si l’on veut aborder avec quelque chance de succès l’étude des antinomies redoutables et, en dépit de tout, persistantes de la science.

Le premier de ces deux problèmes, celui qui se rapporte à l’Infini, est le seul auquel je me sois spécialement attaché. Suis-je parvenu à le résoudre ? Ce serait témérité que de le croire, et, en pareille matière, le plus confiant concevrait des doutes ; mais d’autre part je suis assuré à l’avance qu’aucun esprit sérieux et vraiment avisé ne me jugera avant de m’avoir entendu, je veux dire compris. M. Paul Tannery évite, pour cette raison même, de se prononcer : « il faudrait me suivre à travers trop de principes, » il veut dire, à travers trop de démonstrations et de théorèmes, le principe de contradiction étant le seul que j’aie invoqué ; quoi qu’il en soit, je ne puis que me féliciter de cette réserve, et j’en remercie la critique prudente qui l’a inspirée.

En ce qui concerne la question de méthode, j’ose dire qu’aucun obstacle sérieux ne nous sépare, M. Tannery et moi. « Dans la discussion des principes, le mathématicien peut occuper la position métaphysique qu’il lui plaît, pourvu qu’elle n’entraîne pas de contradiction. » Je l’accorde, scrupule : mais je crois que la liberté qu’on réclame pour le savant est beaucoup plus restreinte qu’on ne l’imagine, et que les exigences du problème limitent singulièrement les solutions. Il faut choisir en effet : — ou l’infini