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E. NAVILLE. — CONSÉQUENCES DE LA PHYSIQUE

auteurs s’arrêtent longuement à des théories d’histoire naturelle, jettent à peine un regard superficiel et distrait sur les faits spirituels, et concluent au matérialisme. M. Tyndall reconnaît que, pour faire sortir de la nébuleuse le sentiment et la pensée, il faut changer nos idées de la matière et de la force, et dans le discours scientifique où il a développé les pensées écloses sur les flancs du mont Cervin, il déclare qu’il discerne dans la matière « la puissance de toutes les formes et de toutes les qualités de la vie ». C’est nier positivement la doctrine de l’inertie. Nier la doctrine de l’inertie, c’est renverser la base des travaux de Fresnel, d’Ampère et de Faraday, comme ceux de Newton et de Laplace. Il semble donc que, ébloui par les progrès de la physique, le savant anglais ne s’aperçoit pas qu’il détruit les fondements de la science qu’il a cultivée lui-même avec éclat. Nous avons ici le spectacle d’une pensée qui prend son essor sous l’impulsion de l’esprit systématique. L’esprit philosophique ne permet pas ce brusque passage de l’idée des choses matérielles à l’idée de tout ce qui existe ; il ne permet pas de conclure des données d’une seule science à la solution du problème universel. L’esprit philosophique doit préserver de tout éblouissement et mettre toutes choses à leur place, la physique comme le reste. Mettre la physique à sa place, ce n’est pas renoncer à reconnaître les rapports qu’elle soutient avec la philosophie. Le but de mon travail est d’interpréter d’une manière légitime les données que cette science particulière fournit à la science générale.

La physique moderne est née de l’affirmation que les phénomènes matériels considérés objectivement se réduisent à des mouvements ; et de la doctrine de la constance de la force, c’est-à-dire du maintien à quantité égale de la puissance motrice dans les transformations diverses du mouvement. Elle cherche ses moyens d’explication dans l’application des formules mathématiques aux mouvements de la matière. Enfin, plus elle avance dans ses recherches, plus elle réussit à expliquer par un petit nombre de lois la multiplicité indéfinie des phénomènes. Son programme est loin d’être rempli. La route qui conduit au but à atteindre est longue et ménage peut-être bien des surprises ; toutefois, les bases de la science paraissent posées assez solidement pour qu’il soit permis d’en étudier les conséquences philosophiques. Je le ferai, en m’attachant d’abord à la question de la méthode, puis en passant en revue quelques doctrines importantes.

À l’époque où furent posés les fondements de la physique moderne, Galilée indiqua et pratiqua la vraie méthode scientifique. Il observa ; il fit des hypothèses, et il n’admit ses hypothèses pour va-