Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
A. FOUILLÉE. — LE NÉO-KANTISME EN FRANCE

en peut pas mieux s’accommoder du principe de dignité » (principe de Kant) « que de tout autre concept rationnel, que du principe de perfection par exemple » (qu’admet précisément M. Janet). » Le principe de dignité assigne en effet au vouloir un objet déterminé[1]. » D’autre part, M. Renouvier avait dit en termes encore plus exprès : « Nous repousserons en même temps le paradoxe que Kant énonce encore de cette manière : La notion du bien et du mal n’est le fondement de la morale qu’en apparence ; elle n’est pas déterminée avant elle ; au contraire, sa détermination en procède. — La loi morale ne peut être comprise ni définie sans la notion du bien et du mal… Mais la notion du bien et du mal n’atteint son universalité et sa pureté que lorsque la loi morale est conçue de manière à produire une formule abstraite, voilà ce qu’on doit accorder[2]. » Il faut donc admettre que l’ardeur de la polémique avait entraîné M. Pillon à blâmer chez M. Janet une critique de l’antériorité de la loi sur le bien qu’il avait lui-même dirigée contre Kant. En somme, la vraie doctrine du néo-kantisme français, sur ce point, n’est plus celle du kantisme pur.

Mais alors de nouveaux problèmes surgissent. Que va devenir l’autonomie de la volonté ou, si l’on préfère, de la raison, dans une doctrine qui explique en définitive la loi par le bien, la forme de la moralité par le fond ? Kant, lui, finissait par donner pour fond à la raison et à sa loi formelle la volonté se voulant elle-même ; mais cette solution n’est plus permise au criticisme. En effet, M. Renouvier et M. Pillon s’accordent tous les deux à blâmer Kant d’avoir admis l’autonomie de la volonté et de l’avoir confondue avec l’autonomie de la raison par la confusion de la raison même avec la volonté. Ce n’est pas la volonté qui est autonome, dit M. Renouvier, car elle reçoit au contraire sa loi de la raison[3] ; c’est donc à la raison qu’il faut transporter l’autonomie. — Mais, dirons-nous à notre tour, comment la raison, telle que vous la concevez, peut-elle être autonome, puisqu’elle est obligée d’emprunter à l’expérience « la notion du bien et du mal », puisqu’elle ne peut poser sa loi sans une matière à laquelle elle s’applique, puisqu’elle est une simple faculté de réflexion, d’abstraction et de généralisation qui, par elle-même, n’a pas d’objet propre ? Elle ne peut être autonome dans son objet ; il faut donc qu’elle le soit seulement dans sa forme, dans sa « formule abstraite » ; mais que signifie l’autonomie d’une abstraction, d’une formule, d’une forme logique, d’une généralité qui, à elle seule, est vide ? Vous voilà encore revenu, comme nous le soutenions tout à l’heure, à un

  1. L’année philosophique, t. I, p. 305 et 303.
  2. Essais de critique, Psychologie, t. III, p. 137.
  3. Cf. M. Pillon, ibid., p. 304.