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A. FOUILLÉE. — LE NÉO-KANTISME EN FRANCE

leurs fort obscurs, « dans la catégorie de finalité, les idées de fin rationnelle et de devoir moral[1]. » Et pour que cette réunion fût une vraie synthèse, ajouterons-nous, il faudrait que le devoir moral fût essentiellement différent de la fin purement rationnelle. Mais alors, nous voici arrivés bien loin du point de départ choisi d’abord par M. Renouvier : après avoir posé au début un devoir qui n’était pas plus stoïcien ou chrétien qu’épicurien, M. Renouvier est forcé maintenant d’ajouter à l’idée de fin rationnelle un devoir vraiment moral constituant une espèce de fin particulière avec des caractères sui generis. Reste à savoir si cette fin et ses caractères seront suffisamment justifiés par M. Renouvier. Pour nous en rendre compte, examinons la fin morale successivement dans sa forme propre et dans sa matière propre, selon la terminologie kantienne.

On a accusé de formalisme la doctrine de Kant sur la forme caractéristique du devoir. Cette objection, selon nous, tombe encore plus directement sur tous ceux qui admettent un devoir quelconque proprement dit avec son caractère absolu, impératif, à priori, sans admettre en même temps les noumènes de Kant. Ce dernier a eu le mérite de montrer où mène logiquement la thèse du devoir absolu. On aura beau comme l’école éclectique, comme M. Janet par exemple, combiner l’idée de l’impératif à priori avec des éléments empruntés à l’expérience, il faudra toujours, quand on érigera tel ou tel bien déterminé en devoir absolu et à priori, expliquer ce qu’on entend par cet absolu, par ce caractère impératif indépendant de l’expérience ; or on se trouvera nécessairement amené par là soit au formalisme métaphysique de Kant, qui fait du devoir la forme d’un noumène inconnu, soit à un formalisme purement logique, qui fait du devoir une forme de phénomènes. M. Renouvier admet-il, comme l’école spiritualiste, un devoir absolu ? Alors il n’échappera pas plus que les autres au dilemme suivant : Toute loi absolue est, en tant que telle, ou la forme d’un noumène ou la forme d’un phénomène ; dans le premier cas, le fondement de l’obligation est un mystère ; dans le second, ce fondement est un fait d’expérience, qui rend l’obligation toute relative ; dans tous les cas, la loi n’est qu’une forme et la morale qui la pose à priori, indépendamment de l’expérience, est un formalisme.

M. Renouvier, nous le savons, s’imagine échapper à l’objection de formalisme parce qu’il ne refuse pas d’admettre, en même temps que le motif du devoir, la légitimité d’autres motifs ou mobiles naturels à l’homme et ayant un contenu déterminé, tels que l’idée et le désir du bonheur, la considération des fins ou des résultats de l’action. « La réduction de la loi morale à la forme, indépendamment de

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