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REVUE PHILOSOPHIQUE

les Locke, les Tyndal, les Collins, les Dodwel, les Shaftesbury, et comptait des hommes comme Hutcheson, Hume et Adam. Smith, l’ami de Hume, une seconde génération suivit de près (Beattie, Stewart) qui, sur les traces de son patriarche, Thomas Reid, s’efforça de ramener la philosophie à la foi. Le siècle à son déclin nous fait assister à une véritable réaction religieuse et, par une conséquence inévitable, à la décadence de la philosophie écossaise. C’est seulement au commencement du xixe siècle que l’École se relève, en même temps qu’elle s’affranchit de la tutelle ecclésiastique, avec James Mill, Brown et Hamilton. Alors elle se dissout.

Tel est le caractère dominant de l’École. Si l’on en excepte Hume, qu’elle repoussa tout en l’admirant, elle est traditionaliste ; elle s’en repose sur l’autorité pour la théologie et la métaphysique. En paix de ce côté, elle se livre avec ardeur à l’analyse de l’esprit humain, à laquelle le génie de la race et l’exemple de Locke la convient ; rien ne la détourne de l’observation intérieure et de l’étude des conditions de la vie civile, qui sont ses objets de prédilection. Jusqu’à la fin, elle a ce genre de hardiesse, assez fréquent chez les croyants résolus, qui consiste à marcher avec d’autant plus de décision au-devant de la vérité scientifique qu’on la sait d’avance inoffensive pour la foi. Les demi-croyants n’ont pas de ces témérités.


première période : hutcheson, adam smith, hume.


Entre Locke et le déisme anglais d’une part, et les philosophes écossais de l’autre, Shaftesbury forme comme le trait d’union. Sans abandonner les principes généraux de Locke, qui assuraient à la philosophie vis-à-vis de la théologie la plus large indépendance, il donne le signal d’une réaction contre sa doctrine fondamentale des idées acquises. Il l’accuse d’avoir, par cette théorie qui fait des idées un produit de l’art et de la coutume, « renversé tous les fondements de la morale, détruit l’ordre et la vertu dans le monde » (Lettres). C’est aux anciens qu’il emprunte les éléments d’une philosophie destinée à remplacer celle de Locke. Qu’on imagine un mélange des idées exprimées par Cicéron dans le De finibus et le De officiis sur les principes de l’activité sociale, des vues demi-académiques et demi-stoïciennes que Virgile sème çà et là dans ses œuvres, et des enseignements moraux de l’Évangile ; qu’on y ajoute les réflexions quelquefois profondes d’un homme d’État libéral, et l’on aura la philosophie de Shaftesbury, combinaison vraiment originale par la diversité des éléments qui s’y rencontrent et s’y harmonisent,