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avaient été accueillies avec enthousiasme dans ces campagnes désolées. Des persécutions permanentes contraignirent ces hommes rudes et qui n’avaient rien à perdre à s’unir par un lien politique pour la défense de leur foi. À maintes reprises, en souvenir sans doute de leur ancienne organisation par clans, nous les voyons former des covenants auxquels prennent part les paroisses les plus lointaines. Le premier covenant est signé en 1557, pendant la fuite de Knox. On est toujours prêt à le renouveler. Sous les Stuarts, l’exaltation est à son comble : Charles Ier ayant tenté d’imposer un évêque et un rituel, le prélat est chassé de la cathédrale de Saint-Gilles, à Édimbourg  ; le peuple tout entier se soulève. Le 28 février 1638, en présence d’une multitude frémissante qui remplissait l’église et le cimetière de Graytriars, un nouveau covenant est adopté. « Sur la pierre d’une tombe qui servait de table, des milliers de signatures sont apposées à ce document, au milieu des sanglots des uns et des cris de joie des autres. » Le mouvement s’étend à tout le pays. On sait le rôle que jouèrent les milices presbytériennes dans la révolution qui suivit. La restauration accomplie, il fallut trente ans de supplices pour réduire la résistance des presbytériens à l’établissement de l’Église épiscopale. Plus de cent victimes de tout rang furent enterrées dans ce cimetière de Greyfriars, où le covenant avait été signé. 18 000 morts violentes méritèrent à cette période le nom sous lequel elle est encore connue en Écosse : the killing time, le temps de la tuerie. Quand eut lieu la révolution de 1688, l’Écosse se retrouva aussi attachée à ses prêtres de paroisses, aussi défiante vis-à-vis des ecclésiastiques intrus ou ralliés, toujours prête à ces luttes sanglantes, qui étaient depuis si longtemps l’ordinaire de sa vie ; mais ni le nouveau pouvoir n’avait l’envie de les provoquer, ni la nouvelle génération d’ecclésiastiques ne se sentait le goût de les soutenir : il fallut se résigner à la paix.

Au contact des prélats politiques et des prêtres plus raffinés que l’Église Établie avait envoyés d’Angleterre, par lassitude aussi, et en raison soit du bien-être croissant, soit des lumières peu à peu répandues, les mœurs des villes s’étaient adoucies, un souffle de tiédeur était passé sur les vieilles universités écossaises, où les pasteurs continuaient de se recruter. Au grand scandale des puritains de vieille roche, la science et le beau langage commençaient à être de mode parmi les prêtres, ces lumières du jour (new light), comme l’avaient été chez leurs prédécesseurs l’inflexibilité dogmatique et les prédications enflammées. L’Essai de Locke et les ouvrages des latitudinaires répandaient çà et là un esprit de tolérance inconnu jusqu’alors, et la religion naturelle, la morale fondée sur la raison rem-