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ANALYSES. — THOMAS FOWLER. Bacon’s Novum organum.

mais il ne le proclame si souvent que pour désintéresser le zèle religieux des recherches naturelles, en l’assurant qu’il n’a rien à en craindre.

Mais quelle est donc la vraie valeur scientifique de cet apologiste de la science ? Il est trois reproches dont on ne peut guère le défendre et pour lesquels M. Fowler plaide seulement les circonstances atténuantes : le premier est de n’avoir été comme savant qu’un dilettante, le second d’avoir imparfaitement connu l’état des connaissances acquises de son vivant, le troisième d’avoir été par suite beaucoup trop sévère pour son temps. L’éditeur du Novum organum emprunte ici à Spedding (préface du De Interpretatione naturæ) un curieux tableau des erreurs et ignorances scientifiques de Bacon, tableau auquel il ajoute pour son compte la liste des préjugés courants naïvement partagés par son auteur.

Dans les sciences exactes, par exemple, Bacon semble très mal informé et des progrès anciens et des récentes découvertes ; il se plaint en 1623 de la lenteur des procédés de calcul, ignorant que depuis neuf ans déjà Napier a trouvé les logarithmes ; il élabore une théorie du ciel après Kepler, sans paraître soupçonner que Kepler ait écrit ; il parle de la fixité des pôles d’une manière qui laisse voir qu’il ignore la précession des équinoxes. En mécanique, en physique, il n’est pas moins superficiel : ainsi la théorie du levier lui est tout à fait étrangère, bien qu’elle fût dès lors arrêtée ; de même celle du mouvement des projectiles, non fixée encore, il est vrai, mais esquissée par Digges, dès 1591, et, chose curieuse, dans un livre dédié à son père. Contemporain d’Harvey, vivant pour ainsi dire à la même cour, il ne sait rien de la circulation du sang. En revanche, il a du penchant pour l’astrologie, voire pour l’astrologie judiciaire ; tout en dénonçant ici comme partout la superstition, il croit à l’influence des étoiles et de la lune non seulement sur les événements naturels, comme les inondations, la gelée, les tremblements de terre, mais sur les « guerres, séditions, schismes, commotions et révolutions civiles de toutes sortes[1]. » En plus d’un endroit[2] il parle de je ne sais quel « esprit invisible contenu dans tout corps tangible », en véritable disciple de Paracelse. Le soufre et le mercure sont pour lui les substances primordiales et se retrouvent au fond de toute matière. Il admet la transmutabilité des éléments, notamment le changement de l’eau en air et inversement de l’air en eau[3] les fontaines, selon lui, sont dues à la condensation de l’eau dans les cavités de la terre. La conversion du plomb ou du vif-argent en argent lui semble possible et probable : « Versio argenti vivi aut plumbi in argentum… habenda est prosperabili »

La question générale de la transformation des corps occupe même une place notable dans le Novum organum (II, 5), où Bacon indi-

  1. De augm, lib. III, cap. 4, édit. Ellis et Spedding, t. I, p. 554, 560.
  2. Voir notamment Nov. org, II, 40, p. 487-88 de l’édit. Fowler.
  3. Nov. org., II, 48-50.