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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

évident, puisque le converti brûle ce qu’il a adoré et adore ce qu’il a brûlé ; mais dès qu’un jugement de valeur intervient, nous entrons dans la logique affective. Si l’on admet des jugements inconscients, on est conduit à supposer que, dans les conversions, les jugements de valeur (abstraction faite de la conscience) sont de la même nature que les jugements de valeur conscients, Dans les conversions lentes, la période d’incubation est traversée de velléités qui n’aboutissent pas et qui ressemblent à des conclusions partielles et momentanées.

À l’appui de cette hypothèse, on peut alléguer quelques faits, dans la mesure où il est possible de s’aventurer dans cette double obscurité l’affectif, l’inconscient. Il n’est pas rare qu’à la suite d’une maladie physique ou d’émotions violentes, il se produise un changement total d’humeur (mood). J’emploie ce terme faute de mieux, pour dire que le ton principal de la vie affective fait place à un état contraire : l’homme jovial se change en un mélancolique ; l’actif devient apathique, inerte ; le tempérament amoureux, frigide, indifférent. Ce changement d’humeur influe sur les jugements. Le passage du premier état au second transforme la conception de la vie en ce qui concerne l’individu lui-même, ses semblables, son milieu, les événements du monde. Il s’est produit un déplacement des valeurs : autre la fin désirée, autres les conclusions. Mais cette manifestation de la logique affective me paraît à inscrire au compte du raisonnement.