Il faut tout d’abord se débarrasser de cette opinion commune, qu’une conversion est l’effet de la réflexion, d’éléments uniquement ou principalement intellectuels. Ce n’est pas une prétendue démonstration qui engendre la croyance, mais la croyance qui suscite une prétendue démonstration pour se justifier. Je pourrai lire de volumineux traités de théologie musulmane, assister assidûment aux lectures et aux prédications dans les mosquées, sans la moindre propension à me convertir à l’Islamisme et sans autre profit qu’une connaissance approfondie de cette religion. Aux temps héroïques du romantisme, les classiques invétérés résistaient, sans être ébranlés, aux critiques, aux manifestes et qui pis est aux chefs-d’œuvre. Les raisonnements d’un républicain n’ont aucune prise sur un royaliste fougueux et réciproquement. Sans doute, la tendance, l’ébranlement qui produit la conversion ne naît pas spontanément, sans causes intellectuelles, sans idée provocatrice ; mais l’idée n’est qu’un instrument qui tantôt réussit, tantôt échoue. Elle ressemble au pêcheur qui jette son amorce dans l’eau, sans savoir si le poisson mordra à l’hameçon[1].
- ↑ Si au lieu des conversions individuelles dont l’origine est intérieure, on considère les conversions en masse qui se rencontrent dans l’histoire (les Franks de Clovis, les Anglo-Saxons d’Élheibert, les Russes de Vladimir, etc.) dont l’origine est extérieure, étant due à l’obéissance au chef, à l’imitation, à un entraînement momentané, on voit, même en écartant les cas sans sincérité, combien l’œuvre de la conversion est superficielle et précaire, C’est qu’elle n’agit que sur l’intelligence : elle inculque au prétendu converti qui les comprend tant bien que mal, quelques nouveaux dogmes et préceptes ; ils s’ajoutent aux anciens sans les remplacer ni les supplanter ; la conversion réelle exige une transformation radicale des instincts, tendances et habitudes, de la manière de sentir et d’agir, une