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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

inconsciente, un mouvement d’aversion à l’égard d’une personne, accompagné d’un sentiment pénible, tantôt renfermé, muet, rongeur, tantôt agressif et destructeur. Si l’on considère la jalousie comme une espèce ou une variété de ce genre ou — ce qui nous paraît vraisemblable — comme une forme plus complexe, elle présente certains caractères assez faciles à préciser.

Descartes la définit « une espèce de crainte qui se rapporte au désir qu’on a de conserver quelque bien » (Passions, art. 167). C’est une passion à éléments hétérogènes ou divergents. 1o Il y a la représentation d’un bien possédé ou désiré, élément de plaisir qui agit dans le sens de l’attraction et de l’excitation. 2o L’idée de la dépossession (l’amant trahi) ou de la privation (le candidat évincé, l’homme frustré d’une succession espérée), élément de chagrin qui agit dans le sens de la dépression. Le cas de la dépossession est le pire parce qu’il y a une réelle diminutio capitis perpétuellement sentie. 3o L’idée de la cause vraie ou imaginaire de cette dépossession ou privation ; elle éveille à des degrés variables les tendances agressives et destructrices. Dans les formes passives, inertes, de la jalousie, ce troisième élément est très faible[1].

  1. Il faut remarquer que le langage ordinaire entend principalement par jalousie celle des amoureux. Spinoza, dans sa définition bien connue (Éthique, III, prop. 35) prend le mot dans ce sens exclusif. Il n’est pas sûr que, dans la vie, celle forme soit plus fréquente que les autres, mais elle est plus dramatique. En tout cas, il est certain que, psychologiquement, une différence doit être établie entre elle et les autres formes. D’abord, la jalousie amoureuse se développe en partie double elle vise celui qui trahit et celui qui aide à trahir (déposséder) ; elle peut avoir plusieurs