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LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS

Renaissance italienne, au xve siècle, si riche en hommes d’une culture raffinée en même temps que demi-barbares de mœurs, impétueux, passionnés, violents, abonde en apparentes contradictions dans le caractère de l’individu : tels César Borgia, l’une des idoles de Nietzsche ; Filipo Sforza, l’un des plus grands de cette famille, qui croyait fermement à l’astrologie, par conséquent à une fatalité cosmique inexorable et qui invoquait une légion de saints pour sa protection ; un Malatesta condottiere et massacreur impitoyable, qui pleurait à la vue d’une belle tête ou en entendant un beau sonnet.

Cette insouciance de la contradiction dont la cause est dans notre nature affective, si frappante dans la vie des individus, l’est encore plus dans le développement des sociétés. L’histoire, sous toutes ses formes, est faite de contradictions et ne peut être autre. Elles ont été relevées avec amertume par des historiens plus imbus de logique que de psychologie. « Ils s’étonnent souvent, dit Tarde, de remarquer à certaines époques l’alliance de l’intolérance et de la licence. Ils signalent, par exemple, les Florentins du xiiie siècle comme aussi indulgents pour les grands désordres de conduite que sévères pour le moindre soupçon d’hérésie.[1] » Dans les mythes et même dans des conceptions religieuses plus hautes, « l’imagination collective traduit la même indifférence à la contradiction logique. Elle admet, en même temps et sans y voir de difficultés, que Dieu est un et qu’il y a plusieurs

  1. Logique sociale, p. 77 et suiv. (Paris, F. Alcan).