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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

même très rationalistes, qui n’aient quelque superstition éphémère qu’ils tiennent l’ailleurs pour absurde. On a connu des esprits forts qui jugent impossible l’apparition d’un fantôme ou d’un revenant et qui pourtant en ont peur dans l’obscurité. Le savant qui en entrant dans son laboratoire, laisse sa religion à la porte, est un exemple de cet état d’esprit a divisé »[1].

Les cas de ce genre, demi-intellectuels, demi-affectifs, sont hors de notre sujet. Il s’agit ici d’une position contradictoire — ou prétendue telle — entre deux jugements affectifs, entièrement incluse dans la sphère des sentiments. Il n’est pas rare que des gens professent sincèrement une religion de charité comme le christianisme et le boudhisme et soient violents, même cruels envers les incrédules. Voici qui choque encore plus la raison. Aux époques de syncrétisme, telles que le iiie siècle de notre ère, beaucoup de Romains pratiquaient simultanément des religions dont les Dieux avaient des attributs et des prétentions inconciliables ; ils allaient sans scrupule du sanctuaire d’Isis aux temples des dieux nationaux. De nos jours, il se rencontre des Musulmans qui prient devant le tombeau de saint Augustin à Bône, comme devant la kouba d’un grand marabout ; et il serait facile de rencontrer des catholiques convaincus se livrant à des opérations d’occultisme que l’Église tient pour diaboliques. La

  1. C’est sous ce titre que Paulhan a étudié les caractères de cette calégorie dans son livre sur Les esprits logiques et les esprits faux (Paris, F. Alcan). Il en donne d’excellents exemples, p. 330 et suiv..