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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

L’importance du procédé par gradation a été reconnue par les rhéteurs de l’antiquité et leurs continuateurs. Je ne les introduis pas ici sans raisons ; car les Traités de rhétorique anciens et modernes sont, à mon avis, des essais d’une logique des sentiments. Sans doute c’est une étude partielle, fragmentaire, non systématique, limitée à la littérature et surtout à l’art oratoire ; mais on y trouve des observations très justes sur les conditions psychologiques, le mécanisme et l’importance pratique de cette forme de raisonnement. Voici un court résumé de leurs règles et préceptes :

Suivre une gradation : « augeatur semper et crescat oratio ». Lorsque les arguments sont forts et pressants, il faut les présenter séparément ; lorsqu’ils sont faibles ou douteux, il faut les présenter en bloc pour agir par la — Ne pas trop multiplier les arguments ni les trop développer, parce qu’on diminue leur force et on produit la fatigue. — Ne pas prolonger le pathétique et ne pas y introduire des sentiments d’un autre genre ; etc. masse.

En somme, le raisonnement affectif implique entre son point de départ et sa conclusion au moins un terme intermédiaire, le plus souvent un grand nombre. Dans un discours politique, un plaidoyer, un sermon, une pièce de théâtre ou un roman à thèse, il y a une conclusion qu’on se propose de faire accepter : c’est la valeur-fin. Pour y arriver, on traverse une série plus ou moins longue de valeurs équivalant aux moyens termes du raisonnement rationnel : ce sont les valeurs-moyens. La