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LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS

Ainsi donc un rôle analogue à celui des idées générales ou abstraites dans la logique rationnelle est dévolu dans la logique émotionnelle à ces états de conscience particuliers que nous venons de mettre à part et de fixer grossièrement. Je les désignerai désormais sous les noms de concepts-valeur ou jugements de valeur ou simplement valeurs.

La notion de valeur a pénétré lentement et tardivement dans les sciences philosophiques. C’est de nos jours seulement qu’elle est devenue d’un emploi courant dans divers pays, mais on France jusqu’ici moins qu’ailleurs. Ce terme a pourtant l’avantage de fixer par une dénomination consacrée et définie une catégorie spéciale de concepts qui seule permet de comprendre et de traiter clairement la logique émotionnelle.

D’abord quelques mots sur sa courte histoire[1]. En Allemagne, on a prétendu la faire commencer avec Kant, d’après quelques passages d’une interprétation douteuse. Il eût été plus juste de citer Lotze dont la maxime favorite est que « là où deux hypothèses sont également possibles, l’une, qui s’accorde à nos besoins moraux, l’autre, qui les contredit, il faut toujours choisir la première », principe qui met en relief la notion de valeur. En réalité, cette notion est d’origine économique, C’est dans l’ouvrage classique d’Adam Smith sur La Richesse des nations qu’il convient d’en chercher la source : la valeur est

  1. Pour les détails de cette histoire voir Segond, Revue philosophique, 1902, septembre, l. LIV, p. 262 et suiv.