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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

nécessaire au contingent. Dès lors, n’est-il pas naturel de descendre encore plus bas en suivant cette pente : dans le monde chaotique, informe, dédaigné, de la logique des sentiments, et se demander ce qu’elle est ?

Probablement quelques-uns diront : Votre logique des sentiments est depuis longtemps connue et étudiée. Elle forme un chapitre de toute logique sous le titre de faux raisonnements, sophismes, paralogismes. Cette conception du sujet qui ne pourra être discutée utilement que plus tard, est inexacte et partielle. Il y a des sophismes qui n’ont rien d’affectif et des raisonnements affectifs qui ne sont pas des sophismes. La logique des sentiments et la sophistique ne sont pas superposables, sauf en quelques points. La différence de point de vue et de procédés entre le raisonnement rationnel et le raisonnement affectif exclut toute identification des deux cas : sans quoi, il y aurait non deux logiques, mais une seule.

L’inférence affranchie des procédés rationnels est forcément suspecte. Pourquoi donc cette forme de raisonnement inférieure, aléatoire, le plus souvent trompeuse, persiste-t-elle sans se laisser supplanter ? Parce que la logique rationnelle ne peut s’étendre au domaine entier de la connaissance et de l’action. Or, l’homme a un besoin vital, irrésistible de connaître certaines choses que la raison ne peut atteindre, d’agir sur certaines personnes ou choses, et que la logique objective ne lui en fournit pas les moyens. En un mot la logique des sentiments sert à l’homme dans tous les cas où il a un intérêt théorique