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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

naires et leurs analogues (comme l’acteur qui crée l’expression émotionnelle de son rôle) ne nous apprendraient rien. Ils sont trop simples, trop étriqués ; avec eux seuls on ne peut soupçonner la puissance et la portée de la création émotionnelle ; elles ne se révèlent que par les grands cas.

En terminant, on peut se demander comment cette forme spéciale de la création imaginative a échappé à l’attention des psychologues. À mon avis, cette omission s’explique par plusieurs raisons.

D’abord la méthode en usage. L’imagination créatrice, constructive, la fantaisie (de quelque nom qu’on la désigne) a été longtemps étudiée comme « une faculté complexe » qu’on décrivait et analysait, mais sans sortir des généralités, sauf par quelques exemples empruntés aux œuvres esthétiques et aux hypothèses scientifiques. Ce procédé est tout à fait insuffisant. En effet, le mot « imagination créatrice », comme tous les termes généraux, est une abréviation et une abstraction. Il n’y a pas d’imagination en général, mais des hommes qui imaginent et le font diversement. Ces diversités dans la créa-

    encore à contester. Si la mémoire des sentiments se réduisait, comme ils le prétendent, à celle des circonstances et des états intellectuels concomitants, de telles constructions seraient impossibles. Celui qui a perdu la mémoire visuelle ne peut plus imaginer des personnes, des monuments, des paysages. De même, l’homme incapable de raviver des sentiments est incapable de construire en les ressentant des plaisirs ou des douleurs futurs, par exemple les changements que produirait dans sa vie la mort d’une personne aimée. Il peut prévoir, déduire, énumérer les privations qui en seront la suite ; mais il ne les ressent pas en réalité ; il ne fait que penser des mots.