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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

et uniquement en vue de notre étude, les diviser en deux grandes catégories que j’appellerai par abréviation ; les métaphysiciens et les poètes, selon que la nature de leur esprit les incline à penser plutôt par concepts ou plutôt par images. Comme exemples de couples antithétiques, je citerai Eckart et Henri Suse ou Ruysbrœck et sainte Thérèse. Évidemment, c’est aux seuls mystiques poètes qu’il faut nous adresser.

Le mysticisme est un entraînement progressif vers l’extase. La plupart s’arrêtent à mi-chemin. Bien peu nombreux sont les élus qui atteignent le point extrême et culminant ces moments sont rares et durent peu. Dans cette marche ascendante de la vie moyenne vers le ravissement, il y a des degrés qui correspondent à autant de phases psychologiques : suivant leur individualité ou leur finesse d’analyse, les mystiques ont distingué trois, quatre et même jusqu’à sept degrés de vie[1]. Comme il ne s’agit pas ici d’une étude sur le mysticisme, ces différences sont pour nous négligeables. Prise dans son ensemble, cette marche ascendante peut se résumer en cette formule dénudation et concentration toujours croissantes de la conscience. Elle commence par une « purgation », par l’exclusion aussi rigoureuse que possible des influences extérieures. Elle continue par l’accroissement de la vie intérieure, par le renoncement

  1. Sainte Thérèse admet tantôt quatre états (Autobiographie), tantôt sept (El castello interior), que j’ai essayé de traduire dans le langage de la psychologie contemporaine : Maladies de la volonté, chap.  v, p. 128, et Psychologie de l’attention, chap.  iii}, p. 144 et suiv.