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L’IMAGINATION CRÉATRICE AFFECTIVE

des faits qu’il y a un mode de création dont la matière se compose exclusivement d’états affectifs, actuels ou remémorés, qui par un travail de l’esprit sont associés, groupés, combinés suivant des rapports nouveaux, développés et organisés en une fiction.

Or, telle est la nature de certaines créations littéraires. Au risque de fatiguer le lecteur, je répète, pour éviter toute équivoque, qu’il s’agit d’établir non que la création littéraire implique des éléments émotionnels, ce qui est évident, mais que dans certains cas, ils sont tout ou presque tout ; qu’ils sont moins l’agent et le ferment de la création que son fond et sa substance même.

Il y a plus d’un demi-siècle, Lamartine dans la préface de ses Premières Méditations écrivait : « Les choses extérieures à peine aperçues laissaient une vive et profonde impression en moi, et quand elles avaient disparu de mes yeux, elles se répercutaient et se conservaient présentes dans l’imagination, c’est-à-dire la mémoire qui revoit et qui repeint en nous. Mais de plus, ces images ainsi revues et repeintes se transformaient promptement en sentiment. » Mon âme animait ces images, mon cœur se mêlait à ces impressions. J’aimais et j’incorporais en moi ce qui m’avait frappé. » Cet état où la sensation se dissout dans l’émotion, où l’artiste revêt les choses de sa propre couleur affective, est devenu habituel, constant, dans la forme d’art aujourd’hui désignée par le nom de Symbolisme.

Sa valeur esthétique, quelle qu’elle soit, n’importe pas.