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L’IMAGINATION CRÉATRICE AFFECTIVE

pées dans l’espace, mais en états de conscience vagues qui se meuvent dans le temps, a besoin, pour s’extérioriser et prendre corps, d’une technique précise et compliquée. Aussi, de ce point de vue, l’histoire de la musique est le tableau d’une évolution longtemps lente et pénible, puis d’efforts perpétuels pour trouver des moyens matériels qui permettent une expression de plus en plus complète des sentiments humains, sous toutes leurs formes, dans toutes leurs variétés et leurs innombrables nuances. Les voix, surtout les instruments, sont pour le musicien ce que les matériaux de construction sont pour l’architecte[1].

L’invention des instruments primitifs (simple imitation de la voix humaine ou des bruits de la nature) fut un premier pas vers l’extension et la multiplicité des moyens d’expression. Or, cette forme de l’invention — qui — l’histoire le montre — s’est manifestée lentement et plutôt par poussées brusques intermittentes, dépendait elle-même de l’invention et de l’habileté mécaniques.

Autre condition de progrès : la musique ne peut se développer que dans le temps ; mais par l’harmonie et la polyphonie, elle a réalisé une simultanéité de successions qui lui donne un plus large champ et qui est comme un succédané de l’espace. Or, on sait que cette construction

  1. Il n’est pas indifférent pour celui-ci de ne pouvoir user que de bois (comme dans certains pays du Nord) ou d’avoir un choix abondant de matériaux (pierres, marbres, fer, etc.). — Comparer aussi le développement très tardif de l’art musical ou précoce et brillant essor de l’architecture celle-ci avait pour point d’appui et pour stimulant l’utilité.