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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

rien. Mais la question posée est si complexe qu’elle exige encore quelques remarques complémentaires.

Cette confiscation pleine et entière de la conscience au profit de la vie affective, cette disposition générale qui exclut l’apparition des images plastiques, est soumise à des fluctuations qui les laissent apparaître par moments. Cette alternance semble dépendre du déplacement ou du relâchement de l’attention dont la cause est le plus souvent physique (fatigue, épuisement) : tels le cas de Paulhan transcrit plus haut ; celui de Macdougall (Psychol. Review, septembre 1898, p. 463 et suiv.), qui déclare que la musique n’éveille que très rarement chez lui des représentations visuelles ; encore sont-elles de formes simples, fragmentaires, sans lien entre elles, visibles pendant un court moment et aussitôt évanouies ». Or, étant entré au concert en état de fatigue et de surmenage, il ne voit rien pendant le premier morceau, les visions commencent pendant le second et accompagnent avec profusion l’audition du troisième. Le musicien dont on a lu plus haut l’observation typique, la termine en ces termes :

Quant aux sensations visuelles éprouvées pendant l’audition de la musique, les plus remarquables que j’aie eues, c’est en écoutant de mauvais orchestres jouer de la mauvaise musique ; car je vois apparaître des physionomies, des silhouettes d’individus plus ou moins grotesques, des manœuvres d’allure excentrique ; une réunion du déchet de la rue, mal habillés, sales, déformés, grimaçants, vieillis, ridés, de démarche grossière. Mais ce qu’il y a de plus curieux dans ces représentations, c’est que pendant l’exécution d’une phrase, d’un thème, le visage d’un de ces individus peut se modeler ou plutôt se caricaturer de telle façon que les grimaces