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L’IMAGINATION CRÉATRICE AFFECTIVE

lumière vive ou faible. En un mot, il me paraît plus ou moins éclairé. Cette lumière, je l’associe involontairement à une heure de la journée ou de la nuit ou à un paysage plus ou moins net (paysage qui m’est déjà familier). Mais elle est bien plus diverse que la lumière réelle ; je la vois tour à tour blanc d’argent, jaune d’or éblouissant, violette, grise crépusculaire.

2o Le rythme (au sens restreint et vulgaire du mot) éveille presque toujours en moi l’idée d’une troupe en marche. S’il est franc, prolongé, rapide, je vois des cavaliers ; ils suivent une route unie et facile. Ce qui me frappe ce n’est pas la simultanéité et la régularité de leurs mouvements ; c’est leur attitude martiale, leur panache, leurs uniformes et surtout la beauté des chevaux.

3o Une mélodie me fait ordinairement voir une personne dont le visage et le geste, le regard, la bouche, le teint (non la voix) expriment le sentiment que je crois trouver dans la symphonie, D’autres fois, autant il y a de parties mélodiques, autant je crois voir de personnes qui causent entre elles : dans un trio, un quatuor, un quintette, ce cas est le plus fréquent….

4o La combinaison et l’enchevêtrement des mélodies me fait voir souvent une construction ou une superposition matérielle ; c’est tantôt un palais à plusieurs étages, tantôt un arbre aux branches inégales sur lesquelles grimpent des plantes mêlées, croisées en tout sens.

5o Mes images visuelles sont nettes et abondantes, mais elles sont rarement unifiées ou suivies. Elles se renouvellent incessamment avec une grande incohérence. Je remarque même ceci : plus la symphonie me plaît musicalement, plus l’afflux des sensations visuelles est incohérent….

Je suis très éloigné de vouloir appuyer sur ces faits une théorie quelconque. Je trouve même, en y réfléchissant, qu’ils sont plutôt en désaccord avec mon opinion sur la nature de l’art musical. Je ne puis oublier que j’ai connu la musique symphonique assez tard ; que les premières impressions qu’elle a faites sur moi étaient de beaucoup postérieures à d’autres plus simples et d’ordre matériel et qu’il s’établit entre elles d’inévitables associations.

Je renonce à donner ma propre observation, craignant d’être taxé de parti pris : personnellement, je ne vois