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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

2o La seconde condition est la tendance spontanée à tout traduire musicalement, à exprimer les événements extérieurs et intérieurs dans le langage des sons et (puisque nous avons éliminé la musique psychiquement vide) à tout transformer en dispositions affectives, en états sentis qui s’incarnent immédiatement et se développent en un vêtement sonore. Ainsi la vision d’une ville à demi ruinée, ensevelie sous un ciel gris que le peintre exprimera par des formes et des couleurs, le poète par des mois, suscitera chez le musicien une disposition mélancolique qui lui est spéciale en ceci, qu’elle est le germe d’où sortira une création en sonorités.

Dans un ouvrage antérieur j’ai donné de nombreux exemples de cette transformation naturelle, d’après les témoignages de Weber, Beethoven, Mendelssohn ; Chopin, etc. Je rappellerai seulement le cas curieux de Schumann qui, dès l’âge de huit ans, esquissait des portraits musicaux en retraçant par diverses tournures de chant et de rythmes variés les nuances morales ou les allures physiques de ses camarades, Plus tard, il écrivait. « Je me sens affecté par tout ce qui se passe dans le monde : hommes, politique, littérature, et cela trouve un issue au dehors sous forme de musique ; tout ce que l’époque me fournit de remarquable, il faut que je l’exprime musicalement[1].

  1. Pour les détails je renvoie à mon Essai sur l’imagination créatrice, IIIe partie, chap. ii, p. 170-181. Il me serait facile de citer bien d’autres faits de ce genre ; je me borne à un seul, emprunté à une biographie de Liszt, « Nul artiste n’a été plus irrésistiblement musicien, Tout sentiment, toute