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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

comme celle du grand quatuor de Beethoven par Wagner ou des neuf symphonies par Berlioz ; il comprendra que cette forme de création, unique de sa nature, capable d’exprimer ce qui est inaccessible à tout autre langage, justifie le mot de Wagner : « Là où les autres arts disent : cela signifie, la musique dit : cela est. »

Il est à peine besoin de remarquer que la matière affective qui est le fond d’un drame lyrique ou d’une œuvre symphonique (quand celle-ci n’est pas une simple construction sonore) : l’amour et la colère, la joie et la douleur, l’enthousiasme religieux ou l’héroïsme, tous les sentiments et émotions ne surgissent ni ne se succèdent au hasard, en désordre, comme dans le cerveau d’une hystérique ou d’un aliéné. Le travail créateur est aussi organisateur, il trouve et coordonne à la fois ; et le travail critique qui ajoute, retranche, adapte, modifie, étant commun à tous les modes d’invention, existe ici comme ailleurs, mais n’a rien de spécifique.

Cette forme de la création affective étant ainsi fixée en général, nous la suivrons plus tard dans son développement et ses variétés, Pour le moment, essayons d’en déterminer plus complètement la nature, en passant de sa matière à ses conditions d’existence, à l’individualité qui crée et organise. Comme toute autre, cette forme d’imagination résulte du groupement de qualités spéciales qui constituent, dans le cas actuel, le type musical. La psychologie individuelle est une science trop jeune et trop mal assurée pour nous te révéler dans son fond et pour