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L’IMAGINATION CRÉATRICE AFFECTIVE

de l’intellectuel en affectif, mouvement créateur du dedans au dehors, Maintenant, dans l’esprit du compositeur, supprimons par hypothèse tout ce qui se rapporte à l’appareil scénique, la vision des personnages et de leur milieu, il reste la succession des sentiments évoqués, le développement incessamment changeant ou modifié de la vie affective, le jeu ou le choc des passions humaines ; bref, un édifice émotionnel ou plutôt un drame réduit à la seule matière affective. Prenons comme exemple le Freischütz que Weber a commenté lui-même. Abstraction faite de l’élément scénique et du pittoresque visuel, il reste l’expression musicale d’un sentiment romantique de la nature, de la solitude des bois, de la vie forestière, de l’action des puissances démoniaques, d’abord muette, puis traversée de frissons d’épouvante ; et sur ces thèmes fondamentaux le dessin des passions ordinaires, la jalousie, la vengeance, l’amour timide, assuré ou brisé, l’attente, l’espoir, l’allégresse et le triomphe.

Dans la musique indépendante, purement instrumentale, affranchie de tout texte, de tout ordre extérieur et imposé, la trame affective se montre à nu, sans rien qui la masque, et le procédé de création que nous étudions se révèle en elle sous sa forme absolue. Ici, il n’y a plus rien à retrancher ; elle est faite tout entière avec les vibrations des passions humaines, leurs contrastes, leurs sauts brusques, leurs nuances infinies, leurs perpétuelles transformations. Que le lecteur veuille bien consulter quelques analyses de commentaires faits par des maîtres,