Page:Ribot - La logique des sentiments, Félix Alcan, 1905.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

« Je ne sais rien au monde de plus haïssable qu’une musique sans arrière-pensée », et Gounod déclarait avoir « la haine implacable de la formule, de l’enveloppe vide et l’amour de la forme directement issue de l’émotion qui en est la substance et la raison ». On me dispensera d’entasser des exemples. D’une manière générale, on peut invoquer la sensibilité maladive de tant de musiciens célèbres, que leurs biographes nous ont décrite en minutieux détails ; et puis pourquoi des expressions comme la bonhomie de Haydn, la colère concentrée de Beethoven, la langueur de Schubert, l’inquiétude fébrile de Chopin, la tendresse de Mozart, etc. ? Je ne veux rien dire des contemporains. Ceux-ci seraient, pourtant, une bonne mine à exploiter, la musique évoluant de plus en plus dans le sens d’une expression complète des dispositions intimes, les plus délicates et les plus fugitives. Il est presque honteux d’insister sur un point d’une telle évidence et je m’en serais abstenu si la thèse contraire ne s’était affirmée avec la hardiesse que l’on sait.

Cette opposition entre les deux théories est-elle irréductible ? Nullement. Sans entrer dans les détails de ce débat, on peut remarquer que la thèse dont Hanslick s’est fait le champion le plus audacieux, est rigoureusement applicable à une certaine classe de compositions musicales. Il suffit de rappeler la distinction qu’on a quelquefois établie entre la musique vide et la musique pleine : ce qui, en termes psychologiques, peut se traduire par musique extérieure et musique intérieure.