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LE RAISONNEMENT DE JUSTIFICATION

lucides qui en voient la fragilité, — le reste de l’humanité est très accessible à cette apparence de raisonnement et se prête volontiers à l’illusion qu’il procure.

Tous les malheurs de l’existence : ruine, déchéance, maladie, séparation par la mort, sont pour le patient une diminution de vie, un amoindrissement senti de sa personnalité. La tendance à être et à mieux être, la « volonté de puissance », plus simplement l’instinct fondamental de la conservation est atteint, entravé, blessé. Le raisonnement de consolation est un effort pour restituer, par des moyens artificiels, la quantité de vie et d’énergie perdues. Qu’il naisse en nous spontanément ou que nous l’acceptions des autres, il vise toujours le même but et il consiste dans la mise en valeur d’états passés ou futurs propres à compenser le présent car on ne peut chercher ailleurs que dans les souvenirs agréables d’un temps écoulé ou dans cette construction imaginaire, projetée dans l’avenir, qu’on nomme l’espoir.

La « Consolation » a été un genre littéraire florissant dans l’antiquité (voir Sénèque), à la grande époque des rhéteurs, ces ouvriers inconscients de la logique émotionnelle. Si de nos jours, il est hors d’usage, le simulacre de raisonnement qui le constitue reste vivace dans toutes les formes de condoléance journalière, dès qu’elles essayent d’être un peu plus qu’une formule sèche et banale.