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LE RAISONNEMENT DE JUSTIFICATION

toute liberté sur les prémisses, non sur les conclusions. »

Dans toutes les religions, la logique justificative s’épanouit avec luxuriance. Les vrais croyants ne sont jamais embarrassés par les malheurs individuels ou collectifs des gens pieux : la catastrophe d’un train de pèlerins, l’insuccès d’une guerre sainte, le miracle refusé aux plus ardentes et aux plus légitimes prières, l’infortune s’acharnant sur un juste, etc. Sans s’inquiéter d’un double illogisme, ils déclarent que les voies de la Providence sont impénétrables, mais ils essaient de les justifier.

Beaucoup de malades raisonnent de même à l’égard de leur médecin ou des remèdes, parce que leur psychologie est identique à celle des dévots, et ils trouvent toujours quelque prétexte qui, à leurs yeux, explique les insuccès.

Je n’ai parlé que de l’homme normal. Chez certains aliénés (délire des persécutions, mélancolie, etc.), le raisonnement de justification est sans cesse en action et il n’est pas sensiblement plus faible que chez les gens raisonnables, « parce que tout état émotionnel a une cécité et une insensibilité naturelles pour tous les faits qui s’opposent à lui ». (James, op. cit., p. 88.)

Ce travail étant consacré au raisonnement affectif, je n’insisterai pas sur les cas où une croyance, une opinion, un préjugé né du caractère ou de l’éducation, agissent inconsciemment sur les explications et les théories qui prétendent sincèrement à l’objectivité scientifique, Rien de plus fréquent chez les historiens, les théologiens et même les philosophes « qui font semblant d’avoir